L'esprit de Paris  

Jules Verne
LA JOURNÉE
D'UN JOURNALISTE AMÉRICAIN
EN 2890
Version publiée en 1891


Les hommes de ce XXIXe siècle vivent au milieu d'une féerie continuelle, sans avoir l'air de s'en douter. Blasés sur les merveilles, ils restent froids devant celles que le progrès leur apporte chaque jour.

Avec plus de justice, ils apprécieraient comme ils le méritent les raffinements de notre civilisation. En la comparant au passé ils se rendraient compte du chemin parcouru. Combien leur apparaîtraient plus admirables les cités modernes aux voies larges de cent mètres, aux maisons hautes de trois cents, à la température toujours égale, au ciel sillonné par des milliers d'aéro-cars et d'aéro-omnibus.

Auprès de ces villes, dont la population atteint parfois jusqu'à dix millions d'habitants, qu'étaient ces villages, ces hameaux d'il y a mille ans, ces Paris, ces Londres, ces Berlin, ces New York, bourgades mal aérées et boueuses, où circulaient des caisses cahotantes, traînées par des chevaux – oui ! des chevaux ! c'est à ne pas le croire !

S'ils se souvenaient du défectueux fonctionnement des paquebots et des chemins de fer, de leurs collisions fréquentes, de leur lenteur aussi, quel prix les voyageurs n'attacheraient-ils pas aux aérotrains, et surtout à ces tubes pneumatiques, jetés travers les océans, et dans lesquels on les transporte avec une vitesse de 1.500 kilomètres à l'heure ?

Enfin ne jouirait-on pas mieux du téléphone et du téléphote, en se rappelant les anciens appareils de Morse et de Hugues, si insuffisants pour la transmission rapide des dépêches ?

Chose étrange ! Ces surprenantes transformations reposent sur des principes parfaitement connus que nos aïeux avaient peut-être trop négligés. En effet, la chaleur, la vapeur, l'électricité sont aussi vieilles que l'homme.

A la fin du XIXe siècle, les savants n'affirmaient-ils pas déjà que la seule différence entre les forces physiques et chimiques réside dans un mode de vibration, propre à chacune d'elles, des particules éthériques ?



Puisqu'on avait fait ce pas énorme de reconnaître la parenté de toutes ces forces, il est vraiment inconcevable qu'il ait fallu un temps si long pour arriver à déterminer chacun des modes de vibration qui les différencient. Il est extraordinaire, surtout, que le moyen de les reproduire directement l'une sans l'autre, ait été découvert tout récemment.

C'est cependant ainsi que les choses se sont passées, et c'est seulement en 2790, il y a cent ans, que le célèbre Oswald Nyer y est parvenu. Un véritable bienfaiteur de l'humanité, ce grand homme !

Sa trouvaille de génie fut la mère de toutes les autres ! Une pléiade d'inventeurs en naquit, aboutissant à notre extraorditution du trop-plein des chaleurs estivales, ils sont venus puissamment en aide à l'agriculture.

En fournissant la force motrice aux appareils extraordinaires James Jackson. C'est à ce dernier que nous devons les nouveaux accumulateurs qui condensent, les uns la force contenue dans les rayons solaires, les autres l'électricité emmagasinée au sein de notre globe, ceux-là, enfin, l'énergie provenant d'une source quelconque, chutes d'eau, vents, rivières et fleuves, etc…

C'est de lui que nous vient également le transformateur qui, puisant la force vive dans les accumulateurs sous forme de chaleur, de lumière, d'électricité, de puissance mécanique, la rend à l'espace, après en avoir obtenu le travail désiré.

Oui ! C'est du jour où ces deux instruments furent imaginés que date véritablement le progrès. Leurs applications ne se comptent plus. En atténuant les rigueurs de l'hiver par la restitution du trop-plein des chaleurs estivales, ils sont venus puissamment en aide à l'agriculture. En fournissant la force motrice aux appareils de navigation aérienne, ils ont permis au commerce de prendre un magnifique essor.

C'est à eux que l'on doit la production incessante de l'électricité sans piles ni machines, la lumière sans combustion ni incandescence, et enfin cette intarissable source de travail, qui a centuplé la production industrielle.



Eh bien ! l'ensemble de ces merveilles, nous allons le rencontrer dans un hôtel incomparable, – l'hôtel du Earth-Herald – récemment inauguré dans la 16823e avenue d'Universal-City, la capitale actuelle des États-Unis des deux Amériques.

Si le fondateur du New York Herald, Gordon Bennett, renaissait aujourd'hui, que dirait-il, en voyant ce palais de marbre et d'or, qui appartient à son illustre petit-fils Francis Bennett ?

Vingt-cinq générations se sont succédées, et le New York Herald s'est maintenu dans cette remarquable famille des Bennett.

Il y a deux cents ans, lorsque le gouvernement de l'Union fut transféré de Washington à Universal-City, le journal suivit le mouvement, à moins que ce ne soit le gouvernement qui ait suivi le journal, – et prit pour titre : Earth-Herald.

Et que l'on ne s'imagine pas qu'il ait périclité sous l'administration de Francis Bennett. Non ! Son nouveau directeur allait au contraire lui inculquer une puissance et une vitalité sans égales, en inaugurant le journalisme téléphonique.

On connaît ce système, rendu pratique par l'incroyable diffusion du téléphone.

Cette innovation de Francis Bennett galvanisa le vieux journal. En quelques mois, sa clientèle se chiffra par quatre-vingt-cinq millions d'abonnés, et la fortune du directeur s'éleva progressivement à trente milliards, de beaucoup dépassés aujourd'hui.

Grâce à cette fortune, Francis Bennett a pu bâtir son nouvel hôtel, – colossale construction à quatre façades, mesurant chacune trois kilomètres, et dont le toit s'abrite sous le glorieux pavillon soixante-quinze fois étoilé de la Confédération.

A cette heure, Francis Bennett, roi des journalistes, serait le roi des deux Amériques, si les Américains pouvaient jamais accepter la personnalité d'un souverain quelconque.

Vous en doutez ? Mais les plénipotentiaires de toutes les nations et nos ministres eux-mêmes se pressent à sa porte, mendiant ses conseils, quêtant son approbation, implorant l'appui de son tout-puissant organe.

Comptez les savants qu'il encourage, les artistes qu'il entretient, les inventeurs qu'il subventionne.

Royauté fatigante que la sienne ; travail sans repos, et, bien certainement, un homme d'autrefois n'aurait pu résister à un tel labeur quotidien. Très heureusement, les hommes d'aujourd'hui sont de constitution plus robuste, grâce aux progrès de l'hygiène et de la gymnastique. Grâce aussi à la présentation des aliments scientifiques, en attendant la prochaine découverte de l'air nutritif, qui permettra de se nourrir rien qu'en respirant.



Et maintenant, s'il vous plaît de connaître tout ce que comporte la journée d'un directeur du Earth-Herald, prenez la peine de le suivre dans ses multiples occupations, – aujourd'hui même, ce 25 juillet de la présente année 2890.

Francis Bennett, ce matin-là, s'est réveillé d'assez maussade humeur. Depuis huit jours, sa femme était en France. Il se trouvait donc un peu seul.

Le croirait-on ? Depuis dix ans qu'ils sont mariés, c'était la première fois que Mrs Edith Bennett, la professionnal Beauty, faisait une si longue absence. D'ordinaire, deux ou trois jours suffisaient à ses fréquents voyages en Europe, et plus particulièrement à Paris, où elle allait acheter ses chapeaux.

Le premier soin de Francis Bennett fut donc de mettre en action son phonotéléphote, dont les fils aboutissaient à l'hôtel qu'il possédait aux Champs Élysées.

Précieuse découverte, dont Francis Bennett, ce matin-là, ne fut pas le dernier à bénir l'inventeur, lorsqu'il aperçut sa femme, reproduite dans un miroir téléphotique, malgré l'énorme distance qui l'en séparait.

Douce vision ! Un peu fatiguée du bal ou du théâtre de la veille, Mrs Bennett est encore au lit. Bien qu'il soit près de midi là-bas, elle dort, sa tête charmante enfouie sous les dentelles de l'oreiller.

Ne voulant pas réveiller la jolie dormeuse, il saute rapidement hors de son lit, et pénètre dans son habilleuse mécanique.

Deux minutes après la machine le déposait, lavé, coiffé, chaussé, vêtu et boutonné du haut en bas sur le seuil de ses bureaux.

La tournée quotidienne allait commencer.



Ce fut dans la salle des romanciers-feuilletonistes que Francis Bennett pénétra tout d'abord avisant un des feuilletonistes qui prenait cinq minutes de repos :

« Très bien, mon cher, lui dit Francis Bennett, très bien, votre dernier chapitre. La scène où la jeune villageoise aborde avec son galant quelques problèmes de philosophie transcendante, est d'une très fine observation. On n'a jamais mieux peint les mœurs champêtres. Continuez, mon cher Archibald, bon courage.

Dix mille abonnés nouveaux, depuis hier, grâce à vous ! »

« M. John Last, reprit-il en se tournant vers un autre de ses collaborateurs, je suis moins satisfait de vous.

Ça n'est pas vécu, votre roman ! Vous courez trop vite au but. Et bien, et les procédés documentaires ? Il faut disséquer !

Chaque action dans la vie réelle est la résultante de pensées fugitives et successives, qu'il faut dénombrer avec soin, pour créer un être vivant.

Et quoi de plus facile en se servant de l'hypnotisme électrique, qui dédouble l'homme et dégage sa personnalité.

Regardez-vous vivre, mon cher John Last ! Imitez votre confrère que je complimentais tout à l'heure. Faites-vous hypnotiser…

Hein ? Vous le faites, dites-vous ?… Pas assez alors, pas assez ! »

Cette petite leçon donnée, Francis Bennett poursuit son inspection et pénètre dans la salle de reportage.



Ses quinze cents reporters, placés alors devant un égal nombre de téléphones. Outre son téléphone, chaque reporter a devant lui une série de commutateurs, permettant d'établir la communication avec telle ou telle ligne téléphotique. Les abonnés ont donc non seulement le récit, mais la vue des événements, obtenue par la photographie intensive.

Francis Bennett interpelle un des dix reporters astronomiques, attachés à ce service, qui accroîtra avec les nouvelles découvertes opérées dans le monde stellaire.

« Eh bien, Cash, qu'avez-vous reçu ?…

– Des phototélégrammes de Mercure, de Vénus et de Mars, Monsieur.

– Intéressant, ce dernier ?…

– Oui ! une révolution dans le Central Empire, au profit des démocrates libéraux contre les républicains conservateurs.

– Comme chez nous, alors. Et de Jupiter ?

– Rien encore ! Nous n'arrivons pas à comprendre les signaux des Joviens. Peut-être les…

– Cela vous regarde, et je vous en rends responsable, monsieur Cash ! répondit Francis Bennett, qui, fort mécontent, gagna la salle de rédaction scientifique. »



Trente savants s'y absorbaient dans des équations du quatre-vingt-quinzième degré. Quelques-uns se jouaient même au milieu des formules de l'infini algébrique et de l'espace à vingt-quatre dimensions, comme un élève avec les quatre règles de l'arithmétique.

Francis Bennett tomba parmi eux à la façon d'une bombe.

« Eh bien, Messieurs, que me dit-on ? Aucune réponse de Jupiter ?… Ce sera donc toujours la même chose ! Voyons, Corley, depuis vingt ans que vous potassez cette planète, il me semble…

– Que voulez-vous, Monsieur, répondit le savant interpellé, notre optique laisse encore beaucoup à désirer, et, même avec nos télescopes de trois kilomètres…

– Vous entendez, Peer, interrompit Francis Bennett, en s'adressant au voisin de Corley, l'optique laisse à désirer !…

C'est votre spécialité cela, mon cher ! Mettez des lunettes, que diable ! Mettez des lunettes ! »

Puis revenant à Corley :

« Mais à défaut de Jupiter, obtenons-nous au moins un résultat du côté de la Lune ?…

– Pas davantage, Monsieur Bennett !

– Ah ! cette fois, vous n'accuserez pas l'optique. La lune est six cents fois moins éloignée que Mars, avec lequel, cependant, notre service de correspondance est régulièrement établi. Ce ne sont pas les télescopes qui manquent…

– Non, mais ce sont les habitants, répondit Corley, avec un fin sourire de savant truffé d'X.

– Vous osez affirmer que la Lune est inhabitée ?

– Du moins, Monsieur Bennett, sur la face qu'elle nous présente. Qui sait si de l'autre côté…

– Eh bien, Corley, il y a un moyen très simple de s'en assurer…

– Et lequel ?…

– C'est de retourner la lune ! »

Et, ce jour-là, les savants de l'usine Bennett piochèrent les moyens mécaniques, qui devaient amener le retournement de notre satellite.



La salle adjacente, vaste galerie longue d'un demi-kilomètre, était consacrée à la publicité, et l'on imagine aisément ce que doit être la publicité d'un journal tel que le Earth-Herald. Elle rapporte en moyenne trois millions de dollars par jour.

Grâce à un ingénieux système, d'ailleurs, une partie de cette publicité se propage sous une forme absolument nouvelle, due à un brevet acheté au prix de trois dollars à un pauvre diable qui est mort de faim.

Ce sont d'immenses affiches, réfléchies par les nuages, et dont la dimension est telle que l'on peut les apercevoir d'une contrée toute entière.

De cette galerie, mille projecteurs étaient sans cesse occupés à envoyer aux nues, qui les reproduisaient en couleur, ces annonces démesurées.

Après avoir achevé l'inspection des diverses branches du journal, Francis Bennett passa au salon de réception où l'attendaient les ambassadeurs et ministres plénipotentiaires, accrédités près du gouvernement américain.

Ces messieurs venaient chercher les conseils du tout-puissant directeur.



Midi sonnait. Le directeur du Earth-Herald, terminant l'audience quitta le salon, s'assit sur un fauteuil roulant et gagna en quelques minutes sa salle à manger, située à un kilomètre de là, à l'extrémité de l'hôtel.

La table est dressée. Francis Bennett y prend place.

A portée de sa main est disposée une série de robinets, et, devant lui, s'arrondit la glace d'un phototéléphote, sur laquelle apparaît la salle à manger de son hôtel à Paris. Malgré la différence d'heures, M. et Mrs Bennett se sont entendus pour faire leur repas en même temps.

Rien de plus charmant comme de déjeuner ainsi en tête-à-tête à mille lieues de distance, de se voir, de se parler.

Comme tous les gens à leur aise de notre époque, Francis Bennett, renonçant à la cuisine domestique, est un des abonnés à la grande Société d'alimentation à domicile.

Cette Société distribue par un réseau de tubes pneumatiques des mets de mille espèces.

Ce système est coûteux, sans doute, mais la cuisine est meilleure, et il a cet avantage qu'il supprime la race horripilante des cordons-bleus des deux sexes.

Francis Bennett baisa la joue de Mrs Bennett sur la glace du téléphote, et se dirigea vers la fenêtre, où l'attendait son aéro-car.

L'aéro-car, machine admirable, fondée sur le principe du plus lourd que l'air, s'élança à travers l'espace avec une vitesse de six cents kilomètres à l'heure.

Au-dessous de lui défilaient les villes et leurs trottoirs mouvants qui transportaient les passants le long des rues, les campagnes recouvertes comme d'une immense toile d'araignée, du réseau des fils électriques.

En une demi-heure, Francis Bennett eut atteint sa fabrique du Niagara, dans laquelle, après avoir utilisé la force des cataractes à produire de l'énergie, il la vend ou la loue aux consommateurs.

Puis, sa visite achevée, il revint par Philadelphie, Boston et New York à Universal-City, où son aéro-car le déposa vers cinq heures.



Il y avait foule dans la salle d'attente du Earth-Herald. On guettait le retour de Francis Bennett pour l'audience quotidienne qu'il accorde aux solliciteurs.

C'étaient des inventeurs quémandant des capitaux, des brasseurs d'affaires proposant des opérations, toutes excellentes à les entendre.

Tous ces rêveurs furent promptement éconduits. Quelques autres reçurent meilleur accueil, et, d'abord, un jeune homme, dont le vaste front annonçait la vive intelligence.

« Monsieur, dit-il, si autrefois on comptait soixante-quinze corps simples, ce nombre est réduit à trois aujourd'hui, vous le savez ?

– Parfaitement, répondit Francis Bennett.

– Eh bien, monsieur, je suis sur le point de ramener ces trois à un seul. Si l'argent ne me manque pas, dans quelques semaines, j'aurai réussi.

– Et alors ?

– Alors, monsieur, j'aurai tout bonnement déterminé l'absolu.

– Et la conséquence de cette découverte ?

– Ce sera la création facile de toute matière, pierre, bois, métal, fibrine…

– Prétendriez-vous donc parvenir à fabriquer une créature humaine ?…

– Entièrement… Il n'y manquera que l'âme…

– Que cela ! répondit ironiquement Francis Bennett, qui attacha cependant ce jeune chimiste à la rédaction scientifique du journal… »«

« Vous savez, monsieur, lui dit un postulant, que, grâce à nos accumulateurs et transformateurs solaires et terrestres, nous avons pu égaliser les saisons. Transformons en chaleur une part de l'énergie dont nous disposons, et envoyons cette chaleur aux contrées polaires dont elle fondra les glaces…

– Laissez-moi vos plans, répondit Francis Bennett, et revenez dans huit jours. »



Francis Bennett vint s'étendre dans le salon d'audition sur une chaise longue.

Puis, tournant un bouton, il se mit en communication avec le Central-Concert.

Après une journée si occupée, quel charme il trouva aux œuvres des meilleurs maestros de l'époque, basées sur une succession de savantes formules harmonico-algébriques !

L'obscurité s'était faite, et, plongé dans un sommeil demiextatique, Francis Bennett ne s'en apercevait même pas. Mais une porte s'ouvrit soudain.

« Qui va là ? dit-il en tournant un commutateur placé sous sa main. »

Aussitôt par un ébranlement électrique produit sur l'éther, l'air devint lumineux.

« Ah ! c'est vous docteur ? dit Francis Bennett.

– Moi-même, répondit le docteur Sam, qui venait faire sa visite quotidienne – abonnement à l'année. Comment va ?

– Bien.

– Tant mieux… Voyons cette langue ? »

Et il la regarda au microscope.

« Bonne… et ce pouls ?… »

Il le tâta avec un sismographe, à peu près analogue à ceux qui enregistrent les trépidations du sol.

« Excellent !… Et l'appétit ?…

– Euh !

– Oui… l'estomac !… Il ne va plus bien, l'estomac ! Il vieillit l'estomac ! Mais la chirurgie a fait tant de progrès ! Il faudra vous en faire remettre un neuf !… Vous savez, nous avons des estomacs de rechange, garantis deux ans…

– Nous verrons, répondit Francis Bennett. En attendant, docteur, vous dînez avec moi. »

Pendant le repas, la communication phonotéléphonique avait été établie avec Paris. Et le dîner, entremêlé des bons mots du docteur Sam, fut charmant.

Puis, à peine terminé :

« Quand comptes-tu revenir à Universal-City, ma chère Edith ? demanda Francis Bennett.

– Je vais partir à l'instant.

– Par le tube ou l'aérotrain ?

– Par le tube.

– Alors tu seras ici ?

– A onze heures cinquante-neuf du soir.

– Heure de Paris ?…

– Non, non ! Heure d'Universal-City.

– A bientôt donc, et surtout ne manque pas le tube. »

Ces tubes sous-marins, par lesquels on venait d'Europe en 295 minutes, étaient préférables aux aérotrains, qui ne faisaient que 1000 kilomètres à l'heure.


Le lendemain, 26 juillet 2890, le directeur du EarthHerald recommençait sa tournée de vingt kilomètres à travers ses bureaux, et, le soir, quand son totalisateur eût opéré, ce fut par deux cent cinquante mille dollars qu'il chiffra le bénéfice de cette journée – cinquante mille de plus que la veille.

Un bon métier, le métier de journaliste à la fin du vingt-neuvième siècle !



Jules Verne LA JOURNÉE D'UN
JOURNALISTE AMÉRICAIN
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Version publiée en 1891
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