L'esprit de Paris  

LE GOÛT DE L’ART


LES RECUEILS DOCUMENTAIRES

Claire Joyes, « Les carnets de cuisine de Monet » paru aux Éditions du Chêne en 1989.

Ce livre est une invitation aux voyages. Aux voyages au pluriel parce qu’il nous entraîne dans l’espace et le temps.

L’espace, par les endroits fréquentés par le peintre. Le temps, par l’ambiance recrée de l’époque de Claude Monet.

Un géant, un homme bon, ayant surmonté toutes les vicissitudes de la vie.

Ses amis et biographes racontent qu’il possédait un solide coup de fourchette, tout en étant fin gourmet, avec cependant quelques manies.

Pour ses nombreux invités – Clemenceau, Renoir, Pissarro, Durand-Ruel – et bien sûr sa famille, il découpait lui-même à table les gibiers rôtis et volailles. Il n’aimait que le foie gras d’Alsace, et préférait les truffes du Périgord.

Il adorait le poisson, surtout les brochets de ses bassins. Il possédait un potager soigneusement entretenu, et raffolait de fines herbes, d’aromates, de plantes potagères du Midi, de champignons de couche, qu’il faisait délicatement cueillir à l’aube.



La préoccupation constante du célèbre impressionniste pour la bonne chère, même s’il ne mettait jamais les pieds en cuisine, est un exemple de bon sens.

Leur table a pour seule ambition de servir des plats merveilleusement exécutés avec ce que produit le potager ou la basse-cour.

C’est aussi la table de gens qui sortent de leur tanière, avec des recettes qui sont celles des restaurants fins où ils dînent, ou encore celles d’amis écrivains, collectionneurs, peintres, acteurs.

Et qu’à bien regarder, on retrouvera dans nombre de carnets de cuisine contemporains.



Il s’appelle Paul Durand-Ruel, et sa famille commence à douter de son bon sens, car s’il est marchand, il est aussi mécène, un peu banquier, un peu trésorier; entendons-nous bien.

Durand-Ruel, le « Monsieur Durand » de Renoir, de Sisley, de Pissarro, de Monet et de tous, n’est certes pas indifférent à l’argent, mais il prend le superbe risque d’acquérir les toiles de tous ces artistes, en leur avançant les fonds nécessaires à leur existence.

Alors que parfois les tableaux n’ont pas quitté l’atelier, entassant ainsi des centaines d’œuvres difficiles à vendre, car il est toujours délicat d’être en avance sur son époque.

Les fournisseurs de Monet se présentent à Durand-Ruel, il règle le coût du collège des enfants, honore les factures du marchand de couleurs, de l'encadreur, et paie également le tailleur de Monet qui ne s'est jamais privé, quelles que soient les circonstances, d'un costume convenable et de bonne coupe.



« Renoir : à la table d’un impressionniste » paru aux Éditions du Chêne en 1994.

Toujours est-il que nous voyageons avec plaisir dans le temps et que nous rêvons.

Allongés au bord de l’eau, le soleil réchauffant notre corps sous le maillot rayé, nous humons les senteurs de la mare aux Fées ou de la caverne des Brigands des années 1860.

Nous côtoyons Monet, Sisley, Bazille et Renoir dans ces endroits à la mode.

Comme les Parisiens de l’époque, nous chérissons les promenades et les pique-niques.

Jeunes encore nous essayons de ne pas succomber à la tentation pour les grenouilles à la cuisse légère.



Joie de vivre ne veut pas dire richesse et nous partageons la pauvreté de Renoir et de ses amis.

Jean-Michel Charbonnier rappelle que

« C’est surtout à Monet, installé dans les hauteurs de Bougival, que Renoir rend les fréquentes visites.

Un Monet sans aucune ressource, plus malheureux, plus révolté que jamais.

Le jour où un ami, sans un sou en poche, doit recevoir le banquier Ephrussi, Renoir fait des prodiges avec un lapin sorti du clapier familial.

En préparant une suite de plats baptisés de noms farfelus qui donneront l’impression à leur invité, habituel consommateur de dindes truffées, d’avoir fait un copieux et succulent repas. »



En 1880, nous voilà chez Fournaise où nous dégustons la soupe aux choux à la matelote d’anguilles.

Puis chez les Charpentier nous apprécions la conversation des invités autour d’une table bien garnie.

Vers 1895, nous nous retrouvons le samedi au château des Brouillards autour du pot-au-feu.

Plus tard encore, au café Riche nous faisons honneur au poisson sauce diplomate et à la sole aux crevettes.



Cependant ce qui nous plaît le plus se sont nos escapades provinciales.

À partir de 1886 nous passons l’été à Essoyes dans la maison louée par Aline à l’automne 1985.

Aline qui « avec un bon sens de paysanne, savait que Renoir était fait pour peindre comme une vigne pour donner du vin.

Il fallait donc qu’il peigne, bien ou mal, avec ou sans succès, mais surtout qu’il ne s’arrête pas » nous dit son fils Jean.



Aline était sans doute faite pour cuisiner comme Renoir pour peindre.

Rappelons les propos de Jean-Michel Charbonnier :

Madame Renoir lui emprunte son style de cuisine, une cuisine légère, rapide, sans complications, en modifiant parfois certaines de ses recettes pour les adapter au goût de son mari.

Les sauces à la farine, le bouillon non dégraissé, les colorants sont prohibés.

Ne pas noyer les légumes verts est un de ses grands principes.

Les petits pois sont cuits sans une goutte d’eau.

Pour que la casserole ne se fende pas, elle ajoute quelques feuilles de laitue qui fournissent l’humidité suffisante.



Les consignes de cuisson sont strictes.

À cette époque, les ménagères ont l'habitude de rôtir longtemps la viande. Chez les Renoir on ne laisse rien « traîner ». Douze minutes par livre de viande, pas une de plus.

Les viandes rôties à la broche ont leur préférence. On utilise pour ce faire une coquille, en tôle, ouverte du côté de la cheminée et traversée par une broche qu’un système à ressort fait tourner.

Le jus est ensuite récupéré dans le bas de la coquille.

À partir de 1897 nous passons les hivers à Cagnes-sur-Mer où Renoir a l’habitude de peindre le domaine des Colettes qu’il achètera en 1907 pour éviter qu’il ne tombe entre les mains de vandales.

Nous avons l’impression d’ouvrir nos yeux en 1919, au moment où Renoir les ferme pour toujours.



LES RECUEILS DES CITATIONS

Marthe Seguin, « Fontes » : l’herbier littéraire paru aux Éditions du Chêne en 1989. Régal des yeux et rappel des moments agréables.

Apprécions le cade conté par Marcel Pagnol dans « La gloire de mon père » :

Ce ravin était, comme l’autre, hérissé de broussailles, mais le cade et le romarin y dominaient.

Ces plantes paraissaient beaucoup plus vieilles que celles que j’avais vues jusqu’ici ; je pus admirer un cade si large et si haut qu’il avait l’air d’une petite chapelle gothique, et les romarins bien plus grands que moi.

Peu de vie dans ce désert : une cigale des pins qui chantait assez mollement, et trois ou quatre mouches, d’un bleu d’azur, qui me suivirent, infatigables, en bourdonnant comme de grandes personnes.



Et voici un joli poème de Jean Cocteau sur les oliviers dans les fleurs de la poésie française :

« Les cheveux gris, quand jeunesse les porte,
Font doux les yeux et le teint éclatant ;
Je trouve un plaisir de la même sorte
À vous voir, beaux oliviers du printemps.

La mer de sa fraîche et lente salive
Imprégna le sol du rivage grec,
Pour que votre fruit ambigu, l’olive,
Contienne Vénus et Cybèle avec.

Tout de votre adolescence chenue
Me plaît, moi qui suis le soleil d’hiver
Et qui, comme vous sur la rose nue,
Penche un jeune front de cendres couvert. »



L’herbier de Proust paru aux Éditions du Chêne en 1996.

Ici, ce sont les fleurs qui prédominent. Elles sont encore plus présentes que dans l’ouvrage précédent. On trouvera cependant au grès des pages les fruits qui font les délices de nos palais, du cassis aux groseilles en passant par les cerises.

Apprécions les groseilles dans « Du Côté de chez Swann » :

Il avait beau traverser une ville de pierre pour se rendre en quelque hôtel clos.

Ce qui était sans cesse devant ses yeux, c’était un parc qu’il possédait près de Combray, où, dès quatre heures, avant d’arriver au plant d’asperges, grâce au vent qui vient des champs de Méséglise, on pouvait goûter sous une charmille autant de fraîcheur qu’au bord de l’étang cerné de myosotis et de glaïeuls.

Et où, quand il dînait, enlacées par son jardinier, courraient autour de la table les groseilles et les roses.



L’herbier de Colette paru aux Éditions du Chêne en 1997.

« Au fin bout des branches dénudées, le vent rude de la Franche-Comté berçait mes poires grises à queue mince.

Sous le messire Jean de plein vent, peu feuillus et écailleux, mûrissaient dès juillet d’autres poires précoces, tournant vite au farineux si l’on ne les récoltait à temps, et que les guêpes vidaient astucieusement.

Elles les perçaient d’un seul petit trou, puis besognaient à l’intérieur et la poire gardait sa forme.

Combien de fois ai-je écrasé dans ma main la jaune montgolfière gonflée de guêpes ?

La cuisse-madame, je vois encore sa forme aussi suave que son nom, et je n’oublie pas les pommes choisies parmi les espèces que Mme Millet-Robinet nomme « dociles au cordon »…

Avec le doux-d’argent, le court-pendu, la belle-fleur, j’étais munie de pommes pour toutes les saisons comme de prunes, quoique les arbres de reines-claudes, les « monsieur jaune » et les « damas violet » fussent affaiblis et pleurassent la gomme.

Filles innombrables de la Comté, une joue criblée de son, l’autre verte comme l’ambre, les mirabelles amies du Doubs pleuvaient sur les oreilles des chattes.

Et le chien gobait les meilleures… »


Source :

Norbert Prévot
LITTÉRATURE ET GASTRONOMIE
Lycée des Métiers de l’Hôtellerie Raymond Mondon
Metz, 2007.






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