L'esprit de Paris  

OÙ TROUVER UN MARI,
UN SOIR DE NOVEMBRE,
À 18 H 12 ?

Youpi ! Je viens de décider de me remarier, à l’instant même !

Il est 18 heures 12 et nous sommes mercredi.

J’ai mes raisons, de très bonnes raisons de vouloir mener à bien ce projet.




Je viens de rentrer chez moi, la mèche en bataille, mon chien en laisse, des dossiers sous le bras et un plat surgelé dans la main droite.

Au moment où je m’apprête à rentrer ma clé dans la serrure, mon portable sonne. Je coince en vitesse avec mon pied le surgelé, qui finalement, va s’aplatir sur le carrelage.

J’ouvre la porte tout en hurlant dans mon portable que je n’entends rien et je tire avec force sur la laisse du chien, qui renifle obstinément le paillasson.

Mes manipulations aboutissent à l’écrasement, par mon pied gauche, du surgelé qui s’étale, crème fraîche et sauce tomate, sur les tomettes.

Un immense découragement s’abat sur mes frêles épaules. Je me dis : « Ça ne peut plus durer ! »

Je veux un mec souriant et amoureux qui m’ouvre la porte d’un air attendri, attrape le surgelé et le balance à la poubelle tout en me m’annonçant d’un air malicieux : « Ma chérie, je t’invite au restaurant ! »

Le rêve ! Je n’ai plus de temps à perdre, inutile de laisser filer les occasions, je dois prendre ma vie en main.



Le temps de balancer mes bottes au fond du placard, je fonce sur l’ordinateur.

Pour me remarier, il me faut trouver un mari.

Mais, où trouver un futur mari, un mercredi soir de novembre, à 18 heures 12 minutes ?

Sur internet, c’est évident. Il paraît que les sites de rencontres regorgent de messieurs en recherche de la femme idéale.



Je m’attelle à la tâche. Je clique…

Et – clac ! – le plus grand site de rencontres en ligne, coté en bourse de surcroît, m’invite à m’inscrire.

Un jour, j’ai vu à la télé le PDG de ce site, un beau brun bien habillé.

Et si tous les inscrits lui ressemblent, je suis partante.



C’est compliqué, l’inscription…

Si vous avez déjà un mari, gardez-le mesdames, sauf s’il ne sort pas la poubelle bien entendu.

Il faut choisir un pseudo. J’essaye des pseudo gentillets : Magali, Harmonie, Fleur d’automne, Gisèle avec deux ailes, Fanny avec un I.

Il m’est indiqué à chaque fois : « Ce pseudo est déjà pris, choisissez un numéro ! »

Et l’on me propose « Magali 3421 », « Harmonie 7654 » où « Gisèle 299 ».

Pas question, je n’ai pas une tête de numéro !

Après une heure laborieuse à trouver un pseudo original, je laisse choir et, exaspérée, je tente « Allergique à la paille ».

Gagné ! Ce pseudo est libre.

Pas de concurrence dans les allergies à la paille.



Je commence à cocher, consciencieusement, point après point, les questions essentielles qui se posent quand on cherche un mari.

Je suis ? Une femme. Je recherche ? Un homme. Bon début.

Je certifie être majeure.

Ma profession ? Je réfléchis et je note « chasseur de têtes ».

Quel est le métier de mon futur ? Je laisse tomber la question du métier. Côté salaire… Je ne laisse pas tomber.

Je préfère combien ? Trop chouette ce site ! Hop : j’ai cliqué « + de 100 000 euros net ».

Mais, fatiguée, j’ai oublié de vérifier si c’est par mois ou par semaine.



Ouf ! J’ai terminé.

Je relis trois fois. Trop top mon profil !

J’écris en annonce « Vous me plaisez déjà ».

Voilà, c’est fini.

Il est minuit vingt, je vais me caler devant un film, en attendant les milliers de mecs qui vont flasher sur mon profil.

JEAN-PIERRE

Mon optimisme en acier trempé n’est pas démenti le lendemain, quand je découvre le nombre de propositions, attractives, ou non, qui s’empilent en vrac sur mon profil.

Il y a des jeunes, tiens donc ! Il y a des moins jeunes et il y a des vieux pleins d’espoir.



Un gros flagorneur prétentieux me résume sa vie trépidante, dont il est le héros.

Cette vie est si pleine de FOTES D’ORTOGRAFE que je le black-liste sans hésiter.

Un cadre commercial, au style ampoulé, m’enveloppe de compliments flatteurs.

Une quarantaine de messages ordinaires et polis dorment dans ma boite.



Mon catalogue virtuel échafaudé, je décide de porter mon intérêt sur brun mignon au profil discret.

Viticulteur. Veuf depuis deux ans. 49 ans. 2 filles indépendantes. Souhaite vie à deux et plus si affinités. Recherche femme élégante, féminine, intelligente.

Génial ! Tout mon portrait ! Je lui fais savoir en trois clics.



Échanges d’e-mails bi-quotidiens et tri-quotidiens, puis par téléphone.

Je fonce !

« Il vient chez moi ? questionne-t-il ? – Non, c’est moi qui me déplacerai », je précise, préférant découvrir le monsieur dans son environnement.



C’est un accro de la mer. Il est ennuyeux comme une vague plate.

Je ramasse des galets. Il me propose un tour en mer. Le voilier n’est pas ma tasse de thé.

Jean-Pierre m’emmène dîner dans sa propriété, une immense ferme, gardée par deux chiens loups : épouvantables, agressifs, méchants, vindicatifs, dressés à la défense et qui tentent de bouffer ma petite chienne blanche de canapé.

Je hurle.



La soirée passe, il épluche des légumes bio pour la soupe. Il me liste les vitamines et leurs bienfaits. Je crève d’envie d’aller manger au Mac Do tout à coup.

« Ça te plairait de cultiver un coin de jardin ? s’enquiert-il ? – Bof, non, ça ne me dit rien. J’ai mal au dos. »

Finalement, je lui annonce que je viens de rencontrer un homme fantastique mais que, s’il le souhaite, nous pouvons rester amis.

Il en conclut que je veux le garder sous le coude, au cas où je me planterai avec mon homme fantastique.

Il fait erreur car l’homme n’existe pas.

MARTIN

Vendredi. Mon candidat au mariage va arriver dans quelques minutes.

Trois semaines que nous échangeons au téléphone.

Il a une voix douce, un peu sourde, avec un indéfinissable zeste d’accent régional.

Mes différentes rencontres de candidats, ces dernières semaines, se sont avérées décevantes, celui-ci a l’air sympa.

Quoique très étourdi et un peu lent.



Miaulement de mon portable : c’est lui ! Il est arrivé.

Il se trouve dans la ville, garé devant un endroit qui s’appelle l’Eldorado.

Il y a un palmier clignotant en guise d’enseigne. Il ne sait pas ce que c’est comme enseigne. Il a l’air inquiet.

Je demande s’il a un GPS dans sa voiture. « Non, il n’a pas de GPS dans sa mini-cooper toute neuve », précise-t-il.

Aïe ! Un mec dans une mini-cooper ?



Je lui explique le trajet : « Un grand carrefour, rue à droite, une tour de huit étages, je descendrai t’attendre au pied de l’immeuble ».

Il veut savoir s’il pourra se garer. « Oui mais, avant de se garer, il faut déjà venir », lui dis-je.

Silence. Justement, il se demande : « Comment faire pour venir ».

Je ré-explique patiemment : le carrefour, l’immeuble et moi en bas.

Silence. Il m’annonce que, s’il se perd, il se demande : « À qui il pourra demander son chemin ».

Il a une entorse aux neurones ou quoi ? « Tu es à 8OO mètres, tu ne vas pas te perdre ».

Il ne semble pas rassuré, il n’a pas l’habitude de la ville, précise-t-il.

Incroyable, c’est un comble, j’ai du encore faire un mauvais casting !

Je suis maudite !

SERGIO

Gare d’Avignon. Il m’attend comme prévu.

J’hésite un peu en l’apercevant.

Il ressemble à la photo mais… sur la photo, le mec est nettement plus jeune.

Bizarre.



Il prétend s’appeler Sergio. Sans doute Serge ? Ou Sylvain. Ou Gaston...

Il me matraque de compliments et m’attrape par le bras.

Il m’invite au restaurant, en bord de mer.

Il va falloir que je monte dans sa voiture.

Je lui dis : « Excusez-moi, je ne monte pas dans la voiture d’un inconnu. »

Il lève les bras au ciel : il n’est pas un inconnu, il m’a téléphoné !



C’est parti, on roule !

Sur l’autoroute, tout à coup, il m’annonce qu’il va tomber en panne d’essence.

Pas trop rassurée, je reste d’un calme olympien et je fais remarquer que ce n’est pas grave : « On trouvera à se dépanner. »

Il enchaîne : « Tu es toujours comme ça ? – Comment, comme ça ? – Sûre de toi ? Tu n’as pas peur ? »

Comme il insiste encore un peu, je lui assène d’un ton sec : « De nous deux, s’il y en a un qui doit avoir peur, c’est TOI. »

Il me jette un œil en biais… Il cherche à se renseigner : « Tu es dans la police ? – Non, non, au contraire. – C’est quoi, au contraire ? s’angoisse-t-il d’un coup. – Je te dirai plus tard, on ne se connaît pas assez. »

Interpellé, il oublie la future panne. Nous arrivons sans encombre à la gare.

Le lendemain, je m’empresse, dès l’aube, de lui expédier un courriel : « Je ne peux pas donner suite, quel dommage vraiment, mais, en fait, je suis dans la police ! »

ROGER

Dimanche. Je suis invitée à déjeuner par mes voisins.

Ils sont charmants et je leur ai rendu un service qui me vaut une invitation en retour.

À peine passée la porte, l'hôtesse m’a susurré d’un air conspirateur : « Nous vous avons réservé une surprise ! Nous avons invité Roger, il est divorcé et célibataire. Il cherche quelqu’un. Il va vous plaire ! »

Roger veut savoir si je suis mariée… Je réponds que oui, plusieurs fois, mais pas aujourd’hui.

Il s’esclaffe ! Il me trouve très rigolote.

Il a tort.

Roger tient à m’expliquer ses activités professionnelles dans le détail. Il est agent immobilier. Et… chasseur de fantômes.



Donc, le sieur Roger vend des châteaux et les fantômes qui vivent dedans.

Puis, il propose ses services aux acheteurs apeurés par ces habitants inattendus.

Il passe le château au pendule, repère les niches à fantômes et hop : il magnétise les fantômes et les fait disparaître car il est magnétiseur.



Sans discours préambulaire, tout à coup, le chasseur m’annonce : « Vous savez que vous avez un chakra déplacé ? »

Je recrache mon morceau de roquefort dans l’assiette !

Mais Roger est déterminé à me sauver la vie, il fait tournoyer son pendule au-dessus de mon crâne, en me priant de me décontracter.

Il va réparer mon chakra.



Je me crispe en souriant.

Le pendule tournoie.

Toute la tablée retient son souffle dans l’attente de ma guérison.

Silence.

Je n’ose pas me servir des fraises chantilly...

LAPIN TENDRE,
ŒIL DE LYNX,
DOUCEUR DU JOUR,
ROYAL COMBAT
ET LES AUTRES

Les vacances enfin !

Un mois à l’océan, sans ordinateur, sans rendez-vous, sans plan cœur.

Les vagues occultent mon désir de remariage, les marées contredisent le sentiment de solitude qui me pèse le reste du temps.

Je bronze, je bulle, je bade les jours de bruine, je bataille sur les grilles de mots croisés.

La vie est belle.



Je me rebranche, dès mon arrivée, sur le site.

Je continue à meetiquer avec espoir.

Jean m’a fixé rendez-vous au buffet de la gare.

Ancien instituteur, Jean, fraîchement en retraite, porte un feutre noir mou, qui, assorti à sa moustache épaisse et drue, lui donne l’air d’un chantre de modernité de la Belle Époque.

Il fume comme un pompier, des brunes sans filtre.

Il tente de me convaincre de venir partager la charcutaille de cochon avec ses potes, participer à des banquets de chasseurs, venir siester des après-midi au bord du lac, où il pêche tranquillement.

Je me vois déjà, tartinant les sandwichs, dans l’herbe haute.

Des fourmis et des araignées m’attaquant avec fureur...



Jean-Paul, lui, a un accent Suisse traîîîîîîîînant inimitable.

Blond, l’œil bleu, il est prêt à tomber amoureux de la première qui voudra partager son quotidien.

Jean-Paul est propriétaire d’une petite maison en bord d’océan.

Fraîchement divorcé, il déteste la solitude et il adore les huîtres.

Il est hyperactif et ne rêve que de remariage et d’huîtres bien sûr !



Un matin, devant le café, Jean-Paul me demande en mariage.

Il pose ses clés de voiture devant mon bol de café, sa carte bleue, et me dit qu’il me donne sa maison.

Je refuse en remerciant.

Je le rassure : il va trouver une femme à sa mesure. En attendant, nous restons amis.



Un tantinet découragée, je rencontre malgré tout Michel, et puis Bertrand le mois suivant.

Ils sont courtois, je suis polie.

Nous n’avons rien à faire ensemble.

Je m’apprête à rejoindre un certain Guillaume, à Bordeaux, pseudo « Robin des bois ».

Et, là, le destin frappe !



En attendant Robin des bois, histoire de tuer le temps, je rentre dans une grande galerie d’art, visiter une exposition.

Je tourne et vire, je trompe mon ennui dans la profondeur des couleurs et je me laisse interpeller, happer, par des sculptures en bronze, flamboyantes.

Il y a, là, un homme grand et robuste, au sourire ravageur et aux yeux noisette.

C’est l’artiste, le sculpteur lui-même.

Je ne le sais pas.



Il me regarde, je lui souris.

Le destin est malicieux.

L’artiste s’approche, me sourit, se présente.

Nous nous regardons.

C’est tout bête : il ne se passe rien, mais nos vies viennent de basculer.

Nous nous connaissons déjà et aucune équation ne saurait expliquer ce phénomène, ce fameux coup de foudre.

Les portes sur des pans de nos vies claquent.

Et d’autres, plus larges, plus oxygénées, bariolées de promesses, s'ouvrent.



Je ne bouge plus.

J’ai juste envie de ’embrasser.

Il se penche vers moi.

Je n’entends pas ce qu’il me demande.

Peu importe d’ailleurs, car une pluie d’étoiles brouille nos échanges…



Depuis, le temps a passé…

J’ai accepté de l’épouser.

Et Le Robin des Bois Bordelais ?

Je ne sais pas.

Car, en rentrant chez moi, j’ai cliqué sur « Se désabonner du site ».

« Confirmer ».



Source :

France Moreau-Orione
OÙ TROUVER UN MARI,
UN SOIR DE NOVEMBRE,
À 18 H 12 ?

Atramenta.net






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