L'esprit de Paris  

PROJET « MIAOU »
une histoire de deux humains
racontée par deux chats


« Mais c’est quoi ce chat vulgaire ? Ce chat de gouttière où se dispute le surpoids et l’absence de bonnes manières ? »

Oh, veuillez excuser mon langage un peu rude ici. Mais je suis une chatte bien éduquée, moi.

Ce n’est pas pour rien que mon humain m’appelle Princesse.

Mon âge ? Comment osez-vous le demander ? Ce n’est pas très courtois ni très poli.

Sachez que vous n’aurez aucune réponse de ma part, vulgaire individu !

Avez-vous simplement appris la politesse ?




Comme vous vous en doutez, je suis la chatte de compagnie de mon humain, Laurent.

Je ne connais pas trop bien les tenants et aboutissants de mon adoption. Je n’ai que peu de souvenirs de ma petite enfance.

Ce n’est pas ce qui compte le plus au final.

Le plus important est que mon humain m’obéisse à la patte et à l’œil.

Car, chers compatriotes félins, il ne faut pas oublier que nous menons la danse.

Contrairement à ce que les humains pensent, nous sommes les maîtres et eux les animaux de compagnie.

Mais, chut, il ne faut pas le miauler trop fort.



J’ouvre à peine les paupières. Une raie de lumière se faufile.

Le sommeil essaie de gagner encore la partie. Mais la lutte est vaine. Il est l’heure de se réveiller.

Quelle torture ! Pourquoi faut-il se lever ?

C’est tellement mieux de ne rien faire.

Rester bien au chaud, collé à la couette du lit… Mon ami, mon amour !

Quelle déclaration, vous me direz. Quel cri du cœur !

C’est vrai…

Ne mentez pas, vous êtes comme moi.

Vous aimez paresser le matin.

Vous avez envie de tuer ce maudit réveil-matin et son alarme stridente.

Bon, il faut savoir rester raisonnable.



Que cela fait du bien de s’étirer. On a presque envie de se retourner pour grappiller quelques minutes avant de se lever.

Tiens, j’entends la cafetière et son bruit d’eau qui coule.

Le parfum du café frais qui titille les narines, que c’est bon !

Mais je dois avouer que je préfère du bon lait froid.

Le lit se met à bouger comme si un tremblement de terre le secouait.

Elle est énervante, mon humaine.

Laissez-moi encore un peu dormir !



D’accord, d’accord ! Je me suis présenté un peu rapidement et un peu abruptement.

Il faut dire que le réveil en fanfare de mon humaine que les autres humains appellent Stéphanie ne m’a pas vraiment donné envie de m’étaler plus que nécessaire.

Je vais donc prendre mon temps et m’introduire d’une manière plus posée.

Du moins, après ma sieste de la matinée. Oui, je sais, je suis à peine levé et je parle de sieste.

Les chats dorment souvent et longtemps, mais ce n’est toujours que d’un œil. Mes sens sont aux aguets.

Je dois dire que le bruit de la porte du réfrigérateur qui s’ouvre est pour moi un doux réveil. Tout comme celui du bruit des croquettes qui atterrissent dans ma gamelle.

Que voulez-vous ? L’estomac, c’est la vie !



Je dois dire que j’ai pris un malin plaisir ce matin à me frotter longuement contre les jambes de mon humaine pour avoir ma gamelle de lait frais.

Elle ne semblait pas franchement d’accord, et après avoir levé un peu la voix sur moi – dispute que j’ai ignorée, vous savez, parfois je suis sourd – j’ai obtenu gain de cause.

Tandis que mon humaine courrait dans tous les sens pour ne pas être en retard je ne sais où, je finissais tranquillement ma gamelle de lait, et je mangeais quelques croquettes, histoire de me remplir un peu le ventre.

Stéphanie s’enferma dans une pièce pleine d’eau, quelle horreur, puis en ressortit cinq minutes plus tard.

Elle sentait bon la lavande. Elle se pencha vers moi, me prit dans les bras, me caressa rapidement sous la gueule, et planta un bisou sur ma tête.

« Bonne journée, Bandit ! » Ce furent les derniers mots que j’entendis avant qu’elle ne franchisse la porte en trombe.

J’ignore pourquoi elle m’a donné ce nom. À vrai dire, je m’en moque un peu.



Il y a environ trois mois de cela, mon humaine a commencé à ne pas revenir la nuit.

Le lendemain de sa première infidélité nocturne, elle rentra, un grand sourire aux lèvres.

Elle semblait avoir passé une nuit de rêves…

Mais comment cela était possible sans moi ?

Je me posais la question quand je la vis arriver.

Elle s’approcha de moi. Elle commença à me grattouiller la tête. Ses yeux pétillaient.

Je dois dire que j’étais tellement content de la revoir que je ronronnais de plaisir.

Mais il n’y avait pas que ses doigts sur mon crâne…

Je sentais une odeur animale qui s’échappait de ses vêtements.

Une odeur de chat.



Bon, il est vrai que j’étais un peu jaloux de ce félin qui avait partagé quelques heures avec mon humaine.

Mais elle se mit à me gratter sous les oreilles.

Décidément, elle voulait se faire pardonner de son impardonnable comportement.

« Ah, mon gros Bandit ! Si tu savais… »

Oui, je voulais savoir, maintenant qu’elle avait piqué ma curiosité jusqu’au sang.

Pourtant elle ne dit rien d’autre et quitta la chambre.

Non seulement elle était restée silencieuse sur la cause de son absence, mais elle semblait en être heureuse.

Quelle injustice.



Un petit mois était passé.

Un soir, quand Stéphanie rentra, je me précipitais vers la porte, la queue levée pour accueillir mon humaine.

Je m’interrompis brusquement quand je vis qu’un humain que je ne connaissais pas tenait la main de mon humaine.

Je vis mon humaine murmurer quelques mots à l’oreille de l’intrus.

Celui-ci s’accroupit et tendit la main, la paume vers le haut pour que je puisse renifler son odeur.

Malgré le parfum de gel douche, je sentais une odeur qui m’était vaguement familière.

C’était cette odeur féline que j’avais sentie sur les vêtements de mon humaine.



Par réflexe, je mettais les oreilles en arrière tandis que je disséquais presque la paume de la main de cet humain.

Il se mit à parler, s’adressant à moi.

« Alors, tu as trouvé l’odeur de Princesse ? »

C’était certain que je l’avais trouvé.

Princesse était donc le chat qui avait osé s’asseoir sur mon humaine ?

Très bien. Je saurai maintenant qui combattre.

Car on ne s’approche pas de mon humaine sans que je sois d’accord.



« Allons, Bandit, viens ! »

Mon humaine qui m’interpelle.

Que me veut-elle ?

J’étais en plein dans ma troisième sieste de l’après-midi quand elle a osé me réveiller.

« Tu vas venir, oui ? Nous devons partir rapidement. Laurent nous attend. »

Tiens donc, Laurent.

Serait-ce ma chance pour découvrir Princesse ?

Bon, on va se la jouer plus coopératif.



Je m’approche du canapé, saute dessus puis m’engouffre dans la caisse de transport.

Stéphanie est trop heureuse et ferme rapidement la porte d’entrée.

Elle soulève la caisse sans oublier de m’envoyer une pique au passage :

« Bandit, je vais te mettre au régime ! »

Je me retiens de souffler pour lui faire comprendre que cette idée est inacceptable.

Je me vengerai un jour ou l’autre. On ne dit pas que je suis gros sans en payer les conséquences.



Nous sortons de l’appartement, puis, arrivé sur le trottoir, je vois une voiture que je ne connais pas, mais, par contre, l’humain au volant m’est familier. C’est Laurent, l’humain qui vit avec Princesse.

Stéphanie pose la caisse sur la banquette arrière de la voiture, en la bloquant tant bien que mal.

Elle monte sur la place du passager avant, embrasse Laurent. Ce dernier met le contact et j’entends le moteur démarrer.

Je profite donc du trajet en voiture pour piquer une sieste rapide.

Je suis réveillé par Stéphanie qui tape sur la grille de la caisse de transport.

Stéphanie prend la caisse par la poignée et passe la porte d’entrée de la maison de Laurent.

J’aperçois un petit jardin. Terrain de jeu idéal pour surveiller quelques oiseaux du coin.



« Mais c’est quoi ce chat vulgaire ? Ce chat de gouttière où se dispute le surpoids et l’absence de bonnes manières ? »

J’ai bien éduqué mon humain. Contrairement à cette espèce de patapouf qui vient de sortir de la caisse de transport.

Je sens que j’ai tout intérêt à être diplomate. Le laisser entrer chez moi sans sortir la moindre griffe sinon je sens que nos deux humains ne seront pas contents.

Oui, j’ai employé le pluriel. Car il faut dire que cette humaine n’a pas mis longtemps à comprendre qu’il fallait me caresser dans le sens du poil pour avoir un accès illimité – ou presque – à mon humain.



Je dois dire que je lui ai appris à avoir certains standards élevés.

Prenons un exemple, la nourriture. Je n’accepte que de la pâtée d’une marque célèbre – dont je tairais le nom ici – car, pour moi, les croquettes sont inacceptables.

Pour la sieste ? Seul le canapé a droit à ma présence. Le lit ? Non, merci. J’ai essayé une seule fois. Mon humain bouge beaucoup trop pour que je puisse avoir mes heures de sommeil.

Mon humain l’a bien compris. Et l’humaine dont il s’est amouraché aussi.



Rien qu’un coup d’œil m’a suffi à comprendre que le chat qui sort de sa caisse de transport est du genre lourdaud, à aimer les croquettes et à dormir n’importe où.

Quel flagrant manque d’éducation.

Que c’est triste.

Mais je n’ai pas d’autre choix que de faire contre mauvaise fortune bon cœur.

Je vais donc le laisser me suivre, mais interdiction de toucher à ma gamelle. Car je serai sans pitié et mes griffes aussi.

Quel malheur que mon humain se soit amouraché d’une humaine avec un chat aussi rustique.

Mais cela aurait pu être pire. Un chien, par exemple.



J’entends la porte de l’appartement s’ouvrir.

Je me dirige vers la porte et je vois un tas de cartons dans l’entrée.

Je miaule de plaisir devant une telle surprise.

Vous l’ignorez probablement, mais entre les chats et les cartons, c’est une grande histoire d’amour.

Des heures de jeu et de sieste à quelques centimètres de mon museau.

Je m’approche doucement, tout en reniflant les cartons.

Il y a un mélange d’odeurs que je n’arrive pas à identifier.

Comme c’est étrange. D’où peuvent-ils bien venir ? Sont-ils vides ?

Je vérifie ceci quand j’entends un cri de mon humaine : « Bandit, sors-toi de là ! »

Mais pourquoi ?



Je saute sur le canapé et j’observe mon humaine s’affairer autour des cartons.

Je la vois faire des allers-retours à un rythme effréné.

Elle y dépose des objets divers. Puis, je la vois enfourner dans les cartons du papier bulle.

Stéphanie remplit un carton, puis deux, puis trois, puis…

Je l’entends soulever avec effort le premier carton, qu’elle dépose dans le couloir.

Elle ferme la porte et ne revient que deux minutes plus tard, à bout de souffle.

Le même manège continue avec le deuxième carton, puis le troisième…

Elle revient en sueur. Elle se dirige vers la cuisine et vide deux grands verres d’eau.

En l’espace d’une heure, les cartons ont été déposés, remplis et entreposés quelque part.

Où ? Je l’ignore.

En tout cas, je ne me souviens pas d’une telle activité depuis que je vis avec mon humaine.

Que se passe-t-il ?

Si vous avez une idée, je suis preneur.



Des cartons, encore et toujours des cartons.

Décidément, ça commence à devenir lassant.

Depuis plusieurs jours, l’humaine de Bandit n’arrête pas de déposer des cartons et de les vider.

Le pire dans l’histoire ? Stéphanie ne les laisse pas sur place, mais elle les remporte avec elle.

Même pour la chatte distinguée que je suis, un carton, c’est un lieu de plaisir de fin gourmet.

Pouvoir se cacher pour préparer une bêtise… Euh, je voulais dire observer sans être vue.

C’est tellement amusant de se cacher dans une boite, s’aplatir au maximum et voir Laurent me chercher partout en vain.

J’adore le faire tourner en bourrique de temps en temps.



Après ma sieste de la matinée interrompue par l’étrange manège de Stéphanie, je vois une boite en carton apparemment oublié par l’humaine de Bandit.

L’occasion est trop belle.

Après avoir regardé à ma droite, puis à ma gauche que je n’étais pas surveillée, je m’avance à pas de loup vers le carton.

Un dernier coup de tête sur les côtés, et je me précipite dans le carton.

Les pans me tombent dessus, en me décoiffant légèrement.



Je m’installe confortablement.

Le carton est pile à la bonne taille. Ni trop grand, ni trop petit.

Il y fait rapidement chaud.

J’en ronronne de bonheur. C’est un plaisir que vous ne pourrez jamais connaître, vous les humains.

Le sommeil m’attaque rapidement et j’en viens presque à ronfler.

Tout va bien jusqu’à ce que je sente que le carton bouge.

Du moins, essaie de bouger.



« Mais pourquoi ce carton est-il aussi lourd ? »

Je reconnais la voix de Stéphanie.

Ça sent très mauvais pour ma sieste. Cette dernière touche abruptement à sa fin.

« Oh, Princesse ! Sors de ce carton ! »



Moi ?

Sortir du carton ?

Mais tu rêves toute éveillée, humaine.

Pas question que je décampe de cette confortable boite.


Jamais.

Vous entendez ?

Ja-mais.

Je suis là pour la vie…



Source :

Frederic Bezies
Projet M

Atramenta.Net