L'esprit de Paris  

SI JAMAIS …
branche charmante

CADEAU

Avant : un cadeau était un divertissement offert à une dame.

Curieuse évolution pour un mot dérivé du latin caput (tête) qui a d’abord représenté une lettre capitale.

Il faut savoir qu’avant l’invention de l’imprimerie, les majuscules étaient souvent ornées d’enjolivures.

Du coup, toute enjolivure est bientôt devenue un cadeau, puis au XVIIe siècle le cadeau est devenu une réjouissance.

Maintenant : chose qu’on offre à quelqu’un pour lui faire plaisir, en particulier à l’occasion d’une fête ou d’un événement heureux.

Synonymes : présent, don, gratification, libéralité, offrande.

Ainsi, au XXIe siècle, on peut donner de sa personne, ce qui n’est pas toujours forcément un cadeau.

CHARME

Avant : le charme, du latin carmen (chant magique), était synonyme d’ensorcellement.

Le caractère désignait de même un sortilège ou autre signe magique.

Et enchanter était pareillement synonyme d’ensorceler.

C’est son sens dans La Flûte enchantée de Mozart.

Maintenant : attrait exercé sur quelqu’un.

Mais avoir du charme vaut mieux que vendre ses charmes !

COURTOISIE

Avant : la courtoisie, littéralement, ce qui concerne la Cour, s’appliquait à ce qui est digne de son raffinement - un raffinement qu’on doit principalement à la Renaissance italienne.

C’est de l’italien que nous est venue, au XVIe siècle, la politesse.

En français, l’adjectif poli ne s’appliquait jusque-là qu’à la pierre polie.

D’autres termes, sans être alors nouveaux, sont passés dans le domaine de la mondanité.

Ainsi conversation, du latin conversatio (fréquentation), qui avait gardé cette valeur en français, s’entendait désormais comme de nos jours : échange de propos.

Féliciter, auparavant : rendre heureux, tout comme en latin, maintenant : assurer quelqu’un de la part qu’on prend à son bonheur.

Les dictionnaires actuels nous donnent une liste impressionnante de synonymes que je me permets de vous infliger : affabilité, égards, élégance, amabilité, bienséance, bonhomie, cérémonie, civilité, convenance, correction, délicatesse, galanterie, gentillesse, manières, politesse, révérence, respect, salamalec, savoir-vivre, sensibilité, tact, etc.

Vous voyez la générosité des variantes offertes actuellement.

Plus d’une vingtaine, c’est vraiment… gentil, délicat et élégant…

HASARD, CHANCE

Avant : le hasard, lui, est arabe ; ce n’est rien d’autre que az-zahr : le dé.

Le hasard, au Moyen-Âge, pouvait représenter un bon comme un mauvais coup de dés, de sorte qu’on aboutit à l’idée de risque, danger.

Au XVe siècle, et de là au sens moderne, ce que l’on nommait auparavant sort ou fortune.

On jouait aux dés pour de l’argent mais, vu le peu d’argent qui circulait au Moyen-Âge, les enjeux restaient limités.

Le verbe parier, du latin par égal, signifiait alors égaler, rendre égal, et au XVe siècle comparer.

Ce n’est qu’au XVIe siècle qu’il s’est appliqué aux paris dans les jeux d’argent qui devenaient à la mode dans les milieux aristocratiques.

La chance, du XIIe au XVIIIe siècle, n’était rien d’autre que la manière dont tombent les dés, du latin cadere (tomber).

Quand les dés étaient mal tombés, on était donc un malchanceux, un mescheant en français du XIIe siècle, du verbe mescheoir (tomber mal).

Telle est l’origine de méchant. Au XIVe siècle, on appliqua ce participe aux objets, avec l’acception : minable, sans valeur (un méchant habit).

De là, deux siècles plus tard, on en est venu au contenu actuel : qui cherche à faire du mal, appliqué à un être humain.

Maintenant : « le hasard, et lui seul, est responsable de tout, depuis la soupe primitive jusqu’à l’homme. »

Ainsi s’est exprimé le prix Nobel Christian de Duve à propos de l’origine de la vie.

Mais est-il vraiment rationnel d’attribuer la vie au hasard ?

Et d’abord, qu’est-ce que le hasard ?

Certains pensent au hasard en termes de probabilité mathématique ; jouer à pile ou face relève de ce hasard-là.

Toutefois, ce n’est pas ce sens que de nombreux scientifiques donnent au mot « hasard » en rapport avec l’origine de la vie.

Ils utilisent ce terme vague comme substitut d’un mot plus précis tel que « cause », surtout quand cette cause est inconnue.

Personnifier le « hasard » comme s’il s’agissait d’un agent causal, fait remarquer le biophysicien Donald MacKay, c’est opérer un glissement illégitime d’un concept scientifique vers un concept mythologique quasi religieux.

De même, Robert Sproul écrit : « Cela fait si longtemps que l’on appelle ‘hasard’ la cause inconnue que les gens commencent à oublier qu’il y a eu substitution… »

SPORT

Avant de parler du mot « sport », ouvrons une parenthèse générale opportune.

Si l’on veut vraiment faire la guerre aux anglicismes, il y a du pain sur la planche.

Sport lui-même est un de ces innombrables cas de retour à l’envoyeur : à l’origine de ce terme anglais, on trouve l’ancien français disport (passe-temps, divertissement).

Il en va de même du tennis, qui n’est rien d’autre que la prononciation « british » de « tenez », cri lancé autrefois au moment de l’envoi de la balle.

Football, basket-ball et volley-ball sont britanniques pur jus, mais record vient du vieux verbe français « se souvenir », qui a pris en anglais le sens d’enregistrer.

Entraîner et qualifier sont des verbes français, mais s’entraîner et se qualifier (pour un sportif) sont des anglicismes, de même que l’adjectif professionnel dans un contexte sportif.

Maintenant : nous sommes bien avancés dans ce sport, surtout celui qui consiste à se renvoyer la balle.

Au XXe siècle, paradoxalement, le français cessa pratiquement d’importer des mots d’outre-Manche… mais ce fut pour n’accueillir que plus massivement les mots d’outre-Atlantique.

Le flux prit naissance après la Première Guerre mondiale, pour s’amplifier au lendemain de la Seconde, et devenir une déferlante dans les années 1960.

En 1964, René Etiemble publiait son célèbre pamphlet Parlez-vous franglais ? dans lequel il stigmatisait le « sabir atlantic » qui gagnait chaque jour du terrain en ces années-là.

Car, il faut le dire, on était alors le dernier des ploucs quand on ne parsemait pas son discours de mots en -ing : standing, feeling, exciting ; quand on était triste au lieu d’avoir le blues, ou qu’on piquait sa crise au lieu de faire un breakdown.

Le garçon de café était devenu un barman, on prenait son Martini on the rocks, on était new look, on allait au shopping center profiter du dernier discount...

TRAIN

Avant : le train, en revanche, est un mot bien de chez nous, dérivé au XIIe siècle du verbe traîner.

À l’origine, il désignait à peu près la même chose qu’une caravane : une file de bêtes de somme, même si ces dernières étaient rarement des chameaux.

Par extension, le terme s’appliqua ensuite à l’ensemble des domestiques, chevaux, voitures qui accompagnent une personne ; il s’appliqua également à l’allure des bêtes, puis des gens (aller bon train).

Au XVIIe siècle, par un retour au sens étymologique, on parlait surtout de trains de véhicules ou de bateaux, lorsque ceux-ci étaient attelés et traînés.

C’est ainsi qu’on aboutit au train dans le contexte des chemins de fer. (Le nom allemand du train, Zug, dérive pareillement du verbe ziehen – tirer).

Maintenant : le train est un matériel roulant ferroviaire assurant le transport de personnes ou de marchandises sur une ligne de chemin de fer.

Par extension, on appelle train le service que constitue chacun de ces transports.

TRAVAIL

Avant : on disait que le travail est une forme de torture.

(Ce n’est pas moi qui le dis, bien que je le pense assez souvent pour certains travaux.

Pourtant, je reconnais que, parfois, le travail est un réel plaisir quand il permet d’accomplir quelque chose de précieux et d’utile pour moi et pour d’autres.)

La torture, c’est en tout cas ce que nous enseigne l’étymologie, puisque le verbe travailler (XIe siècle) vient du bas latin tripaliare, littéralement : torturer avec le tripalium.

Ce dernier était un dispositif formé de trois pieux, servant à attacher soit la bête que l’on voulait ferrer, soit le prisonnier auquel on voulait arracher des aveux.

Maintenant : le travail, c’est la santé !

C’est ainsi, en tout cas, que l’a exprimé le célèbre chansonnier comique et réaliste Henri Salvador :


Le travail, c’est la santé.
Rien faire, c’est la conserver.

Il y a des gens en pagaille
Qui courent sans cesse après le travail.

Moi, le travail me court après.
Et il n’est pas près de me rattraper…



Source :

Pascal Henchoz
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