L'esprit de Paris  

SI JAMAIS …
branche bien ordonnée

ORDINATEUR

Curieusement, l’ordinateur est bien plus ancien que la télévision, presque aussi vieux que l’imprimerie : le mot, en effet, est attesté dès 1491.

Il est vrai qu’il n’avait alors rien à voir avec nos PC ou Macintosh.

Emprunté au latin ordinator (celui qui règle, qui met en ordre), il désignait, dans le contexte chrétien, celui qui procède à l’ordination d’un prêtre, avant de retourner à un contenu laïc comme beaucoup d’autres termes, pour s’appliquer à une personne chargée de régler les affaires publiques.


La pagaille est ce qu’évoque également la cohue devant le guichet aux heures d’affluence.

Cohue est à l’origine un mot breton qui désigne une foire, un marché.

Affluence était au Moyen-Âge synonyme d’abondance.

Puis, au XVIe siècle, on a redonné son sens latin au mot, dérivé du verbe affluere (couler vers) comme un affluent est une rivière qui coule vers une autre.


Par analogie, on a ensuite appliqué ce terme d’affluence au flot des gens qui convergent vers un même endroit, un guichet par exemple.

Ce dernier est un mot d’origine scandinave, qui a d’abord désigné une cachette, puis une petite porte dérobée dans une muraille, ou une ouverture pratiquée dans un portail.

Toujours est-il que cette ouverture, à présent, sert principalement à vendre des billets.


Les billets, eux aussi, sont connus depuis fort longtemps, mais ceux des temps anciens ne se vendaient pas : c’étaient des billets doux, ou billets galants, dans tous les cas de courtes lettres, et le mot serait une altération de bullette, lui-même diminutif de bulle, qui désignait alors le sceau apposé sur les missives.

Les billets de théâtre datent du XVIIe siècle, les billets de banque du XVIIIe.


Le mot copie, au Moyen-Âge, désignait la reproduction d’un écrit à quelques exemplaires.

C’était le travail des moines copistes dans les monastères.

Grâce à l’imprimerie, on a pu désormais reproduire un même écrit à des milliers de copies, retrouvant par la même occasion la valeur du mot latin copia (abondance), qui a donné l’adjectif copieux.

Avec cette possibilité de reproduire les livres et de les rendre accessibles à un public plus large, le mot littérature lui-même ne pouvait manquer d’amorcer une transformation.

Jusque-là, il désignait comme en latin l’écriture, ou le caractère de ce qui est écrit ; à partir du XVe siècle, il signifie érudition, savoir acquis dans les livres, et la littérature au sens moderne n’est plus loin.


Un nouveau genre voit le jour dès le XVIe siècle avec des auteurs comme Rabelais : le roman.

Le terme existait certes depuis fort longtemps, mais il désignait la langue commune (langue romane), par opposition au latin, ou des récits fabuleux dans cette même langue commune, comme Le Roman de Renart, destinés à être lus en public et non par des lecteurs individuels.

Avant l’imprimerie, on lisait d’ailleurs presque toujours à voix haute : à une époque où les livres étaient rares et coûteux, il était presque inconvenant de lire pour soi sans en faire profiter les autres.


La vignette tient son nom de la vigne.

Le terme a d’abord désigné un ornement représentant des feuilles de vigne, puis une illustration quelconque d’un livre, puis, au XIXe siècle, un dessin servant à identifier la marque d’un produit, pour aboutir au XXe siècle à la vignette automobile et à celle des médicaments.

Le timbre, lui, ne vient pas de la vigne, mais son histoire est encore plus tortueuse.


Il a d’abord été un tambour, puis une cloche d’église, puis un casque guerrier ayant une forme rappelant une cloche ; de là, on est passé au casque dessiné en ornement au-dessus des armoiries d’une famille noble, d’où le sens de marque permettant d’authentifier - qui est à la base de nos timbres postaux ou fiscaux – lesquels n’ont assurément plus le moindre rapport avec la cloche et le tambour.

Ces derniers ont néanmoins survécu dans le timbre des instruments de musique.


L’étiquette, bien qu’elle se colle tout comme le timbre, a eu un parcours tout autre.

À l’origine, on trouve le verbe francique stikkjan (percer), qui aurait donné, en picard : estiquier (transpercer, enfoncer).

En ancien français, une étiquette était un poteau fiché en terre et servant de but dans certains jeux.

Ce poteau était parfois muni d’un écriteau, et au XVe siècle, l’écriteau devient à son tour étiquette, même s’il n’est plus attaché à un poteau.

De là, on glisse vers l’étiquette (petit morceau de papier fixé à un objet pour indiquer sa nature).

Autre sorte de poteau fiché en terre, l’affiche, qui n’était à l’origine qu’un objet à ficher.


Ficher étant une prononciation déformée de fixer.

Affiche a pu également désigner une épingle, une agrafe, un objet quelconque fixé.

Avec l’invention de l’imprimerie et l’augmentation du nombre de gens sachant lire, on a commencé à fixer sur les murs des annonces écrites.

Ces affiches-là étaient souvent appelées placards, étant plaquées au mur.


Maintenant : en 1956 (considérons que 1956 fait encore partie de « maintenant », même si le temps passe vite), l’ordinateur a été, pour ainsi dire, emprunté une seconde fois du latin avec retour au sens d’origine : mettre en ordre.

Telle était l’image que pouvait alors renvoyer cette imposante machine dont le grand public était tenu éloigné.

Les Américains ont pourtant été plus avisés en se contentant de la nommer calculatrice ou computer.

Un demi-siècle plus tard, en effet, l’ordinateur est un objet familier que l’on rencontre partout, mais qui semble avoir davantage d’affinité avec la pagaille qu’avec la mise en ordre.

MINUTES (SECONDES, HEURES)

Avant : la minute, du latin minutus (menu) est apparue en français au XIIIe siècle.

C’était, d’après le Robert, la plus petite subdivision du temps, sans autre précision.

La précision n’arrivera qu’un siècle plus tard : la minute sera désormais la soixantième partie de l’heure.

Mais cette subdivision coexistait avec une autre, mentionnée par le dictionnaire Larousse d’ancien français : une heure valait alors quatre points, chaque point valait dix moments, chaque moment douze onces et chaque once quarante-sept minutes.

Il y avait donc minute et minute, prière de ne pas confondre !


La seconde, du latin minutum secundum, était la partie menue résultant de la seconde division de l’heure.

Elle a toujours été la soixantième partie de la minute dès lors qu’elle a été utilisée comme unité de temps, mais il a fallu pour cela attendre la fin du XVIIe siècle.

L’heure, on s’en doute, est bien plus ancienne, et a même toujours existé depuis l’époque romaine, à ceci près que le vocable n’avait pas du tout le même contenu qu’aujourd’hui.


D’après le Robert historique, Heure, pour désigner le chiffre qui indique le temps présent sur une horloge, n’est attesté qu’en 1751.

Jusque-là, l’heure pouvait désigner des choses aussi diverses qu’une période de temps, un moment de la journée, l’heure du repas, l’heure du coucher, l’heure d’une prière, une saison, ou l’âge légal du mariage.

Et même lorsqu’on se rapprochait du contenu moderne, il y manquait toujours l’essentiel à nos yeux : la précision.


Au XIIe siècle, on signale ainsi une heure, utilisée comme l’équivalent de longtemps, et une minute pour très peu de temps.

La précision dans la mesure du temps était rarement ressentie comme une nécessité, dans un monde où il suffisait amplement de régler son activité sur le soleil ou sur les sonneries des églises.

Pire même, la notion d’heures de durée égale était étrangère aux hommes d’alors.


Depuis l’époque des Romains, la journée était divisée en douze heures entre le lever et le coucher du soleil - donc de durée variable.

Que les heures du jour fussent plus longues en été et plus courtes en hiver semblait relever du simple bon sens.

Bien sûr, c’était le contraire pendant la nuit.

Mais avait-on seulement besoin des heures pendant la nuit ?


Aujourd’hui, c’est bien connu, nous n’avons plus une minute, ni une seconde.

Encore moins une heure.

Combien de fois avons-nous entendu : « Attends une minute ! »

Ou encore : « Attends une seconde ».

Mais au fond, nous savons que probablement, il va falloir attendre des heures.


Il y a aussi la « minute » du notaire, cet acte reçu en un seul document original.

Numérotés successivement, les actes notariés en minute comprennent, dans tous les cas et à la fin de l’acte, la mention du numéro de la minute.


Reste à savoir quel est le prix de l’heure d’une minute effectuée par un notaire.

Attendez une seconde, je regarde les tarifs…



Source :

Pascal Henchoz
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