L'esprit de Paris  

IMAGINE…


PRUNEAU

Tout a commencé par un beau matin de juin.

Malgré la fraîcheur matinale, on sentait que la vigueur du soleil aurait vite fait de tout réchauffer.


Au meilleur de sa forme et vêtu de ses plus beaux atours, il s’est placé à l’abri du vent et en plein soleil, entre le persil et le basilic.

Pruneau le chat, était bien étendu sur une chaise de patio, ne dormait que d’un œil alors il a bien observé son arrivée.

Mais c’est les deux yeux bien ouverts qu’il n’a pu s’empêcher de tomber sous le charme du nouvel arrivant, vêtu de velours jaune et noir très luisant.

Pruneau s’est même surpris à sourire, ce qu’il fait rarement.

Afin que ce bel ami reste avec lui le plus longtemps possible, il a évité tout geste brusque et de ronronner trop fort, mais juste assez pour signifier sa passion.

Le soleil est venu à manquer et cet espace s’est retrouvé à l’ombre avec la rotation de la Terre.

Son ami s’est déplacé et Pruneau a eu très peur de le perdre.

Heureusement, il s’est posté tout près des géraniums et encore bien en vue de Pruneau.

C’est comme s’ils s’étaient hypnotisés mutuellement, car ils sont restés plusieurs heures à s’admirer, le regard plongé dans celui de l’autre.

Pruneau l’a observé attentivement pour le reconnaître à l’avenir.

Il s’en voudrait de le confondre avec d’autres.

Jamais auparavant il n’avait remarqué des détails comme la longueur des pattes, le reflet des yeux et le lustre de la toison d’un autre animal.

Pruneau s’est endormi malgré lui, il ne sait combien de temps, mais il s’est réveillé comme par magie juste à temps pour apercevoir son ami le bourdon s’envoler gracieusement, butiner quelques fleurs des environs et disparaître pour revenir bientôt.

C’est du moins ce que souhaite Pruneau qui vient se poster au même endroit chaque matin dans l’espoir de le revoir.



MOUVEMENT

Quand il s’absente trop longtemps on a tendance à s’inquiéter.

On va même jusqu’à avoir l’impression que la Terre va s’arrêter de tourner.

Comme pour nous rassurer, on reçoit soudain une petite brise rafraîchissante.

Puis on constate son passage par le bruissement des feuilles qui attirent notre regard vers les arbres et témoignent de sa présence par leurs branches en mouvement comme pour danser.

Lorsqu’il déploie plus de force et la maintient constante, des oiseaux en profitent pour survoler un plus vaste territoire et semblent s’amuser avec lui.

Souvent, il impose le respect.

Les marins depuis des millénaires l’ont bien compris.

Même les avions vont préférer le contourner plutôt que de l’affronter.

Et c’est mieux ainsi, car lorsqu’il se déchaîne, des dommages importants sont à prévoir et provoquent des désastres, souvent pires que ceux imaginés dans les films à fiction.

Faute d’appareil précis pour mesurer sa force et sa direction, on va chercher un drapeau ou regarder la fumée sortant d’une cheminée.

Les oiseaux se reposant au sol en groupe vont aussi nous donner une indication, car ils s’assurent de toujours l’avoir devant eux.

C’est à l’automne qu’il opère sa magie avec le plus d’éclat.

Des montagnes de nuages envahissent le ciel.

Il est amusant d’y voir des visages, des animaux ou des objets qui changent à son gré.

Puis, bouleversé par une tempête, il nous ramène au contraire du calme qui semble arrêter la Terre.

La pluie ou la neige se déplace alors à l’horizontale, nous bloquant complètement la vue, comme si nous avions pénétré le néant emballé par le vent.



VOLETS BLEUS

Sur la rue Berri, il y a une mansarde centenaire où vit monsieur Dupont.

Agrémentée de volets en bois peints d’un joli bleu, cette vieille maison cache bien son âge derrière une façade comblée de végétation grimpante.

Botaniste à la retraite, Jean Dupont malgré ses 75 ans, se maintient dans une excellente forme physique et mentale en prenant soin de ses plantes tous les jours.

En ce début d’été, ses boites à fleurs et jardinières suspendues sont très colorées de multiples roses, œillets, acacias et autres.

Il garde sa porte grande ouverte, car il espère que Johanne, la postière, aura le temps de jaser un peu avec lui.

C’est vers dix heures qu’elle passe chaque matin.

Comme lui, elle a un beau talent de conteuse et ils s’amusent quelques minutes chaque jour à continuer une histoire que chacun poursuit avec une nouvelle phrase à tour de rôle.

Ils laissent ainsi leur imagination les transporter partout sur terre, dans toutes sortes de situations plus loufoques les unes que les autres.

Hier, il a ébranlé Johanne en impliquant le Pérou dans le périple de Clément, leur cousin inventé.

Elle lui a bien rendu la surprise lorsque ce matin elle lui livre du courrier venant de Clément, adressée à M. Dupont.

Oblitérée au Pérou, elle semble authentique, mais c’est tout de même invraisemblable qu’un personnage créé de toute pièce puisse mettre une lettre à la poste dans un pays si lointain.


C’est pourtant un bel exemple de tout ce qui est possible.

Il faut simplement laisser une pleine liberté à notre fertile imagination…



Source :

Alain Brunet
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