L'esprit de Paris  

UNE PETITE FILLE

Une petite fille courre contre le vent tiède.

Cette petite fille, c'est moi.




La brise douce et légère caresse avec tendresse les parties nues de son corps trop frêle.

Elle danse avec les papillons, chuchote avec le silence.

Elle sème ses pensées au gré de ses pas flottant au-dessus du sol.

Elle se dit qu'elles germeront dans la terre de cette merveilleuse campagne.

Elle sait que jamais rien ne pourra les effacer, ni l'usure du temps, ni la plus torride des pluies et pas même les glaces des froids hivers.

Ce matin, rebelle et sauvageonne, elle saute sur les pierres de la rivière.

Ses pieds nus ne craignent pas l'eau déjà froide.

Ah ! La rivière !

Quelle est réconfortante cette musique faite de clapotis et de valses légères.

Les libellules se bataillent sagement autour des hautes herbes.



Fatiguée, la petite fille se laisse glisser sur un tapis d'herbes et de feuilles tombées avec un peu d'avance.

Elle tend une main gracile vers un papillon blanc-nacré.

Aussitôt celui-ci se pose sur le bout de son index.

La petite fille lui parle avec douceur.

Il bat des ailes sans pourtant chercher à s'envoler.

« Un jour, lui confit-elle, un jour, tu verras, je serai comme toi : blanche et légère. »

Ne lui répète-t-on pas trop souvent qu'elle est si frêle et si fragile qu'elle en est presque transparente ?



Elle s'assoupit...

Pas pour très longtemps car il faut songer à rentrer à la maison.

« Rentrer ! » Ce mot-là la fait frissonner.

La petite fille voudrait rester là, au bord de l'eau, elle voudrait se fondre dans le décor, elle voudrait…

Elle voudrait…

Mais pour cela elle doit attendre d'être grande.

Sinon, il faut rentrer !



À pas lents, elle emprunte le sentier menant au village.

Elle a déposé ses rêves sur le seuil de la porte des mystères.

Demain, si elle peut s'échapper un instant, elle reviendra toquer à cette porte imaginaire.

Le gardien de ses rêves sera là, invisible à tous.

Cette petite fille, c'est moi…

Non, cette petite fille, c'était moi.

Il y a presque un demi-siècle de cela.



La pluie coule le long de mon échine.

J'aime cette sensation de fraîcheur sur ma peau brûlante.

Dans quelques instants, le ciel retrouvera sa limpidité, avec, pour prime, un bel arc-en-ciel.

Je quitte la grange dans laquelle j'ai pris refuge.

L'orage ne gronde plus, la paix s'installe.



J'ai hâte de me rendre à la rivière car je l'aime encore davantage, gonflée par l'eau de pluie.

C'est une traverse de chemin de fer qui lui sert de pont, à peine quelques centimètres au-dessus de son niveau naturel.

Après un orage, l'eau passe par-dessus la poutre en fer rendant le passage d'une rive à l'autre quelque peu glissant, et c'est pour la grande joie des enfants.

De toute façon, la rivière se traverse aisément, à pied, sans qu'il ne soit nécessaire d'emprunter le pont.

Il suffit de ne pas craindre de se mouiller les pieds.



Le soleil refait son apparition.

Je marche en chantonnant sur le sentier bordé de haies.

De temps en temps mon regard se lève vers les chalets que des touristes allemands se sont faits construire afin de passer un week-end ou des vacances paisibles à la campagne.

Pour nous, les enfants, c'est un peu de bonheur en plus, car ils nous invitent souvent à partager le goûté de leurs enfants.

Par leur présence, les baignades deviennent plus amusantes.

Pourtant, malgré cela, je suis heureuse lorsque la saison tire à sa fin, ainsi je me retrouve à nouveau seule, en harmonie totale avec ma grande amie, la nature…



Tout en traînant mes pas sur le sol irrégulier, je respire à pleins poumons les effluves variés, mêlant leurs parfums tantôt fleuris tantôt boisés, auxquelles vient se mêler l'odeur du fumier et des animaux de la ferme.

Que j'aime cette odeur à nulle autre comparable !…

J'arrive enfin au bord de l'eau.

Celle-ci s'écoule, ravie de pouvoir faire un peu plus de vagues, mais toujours aussi impassible, comme si rien ne pouvait jamais la perturber.

Je l'observe en silence, tout en me demandant où elle va.

Lorsque je rêve ainsi, les yeux rivés à la surface de l'eau, je ne peux pas m'empêcher de m'imaginer m'en allant avec elle vers d'autres horizons.





Offerte aux rayons d'un soleil encore chaud, déjà l'herbe sèche.

Je m'allonge sur ce tapis verdoyant, mes yeux se ferment.

Je m'en vais loin, dans mon monde imaginaire.

C'est là-bas que ma mémoire compose des poèmes…




L'heure du retour arrive si vite !

Le soleil m'invite à profiter encore de ses rayons, mais j'ai promis à maman de l'aider au jardin.

Debout, face à ma rivière, mon regard se perd au loin, au-dessus de la campagne étalant à perte de vue ses champs et ses près.

Je reprends le sentier dans le sens inverse.

Mon cœur se serre, comme à chaque fois que sonne l'heure à la pendule de la réalité.




Cette petite fille, c'est moi…

C'était il y a fort longtemps.

Et pourtant, c'était hier…



Source :

Marie Noëlle
Velleur / Goettelmann

SOUS LES CENDRES
DE MES AMOURS…

Atramenta.Net