L'esprit de Paris  

ON A VOLÉ MON STYLO !


AVERTISSEMENT

Derrière les coups d’humeur et d’humour
se cachent parfois de grandes réflexions quasi psychologiques
qui ont pour noble but de répondre à des questions fondamentales
telles que :

- Qui a volé mon stylo ?
- Où se trouve celui qui m’a volé mon stylo ?
- Quand exactement m’a-t-on volé mon stylo ?
- Pourquoi m’a-t-on volé mon stylo ?
- Retrouverai-je un jour mon stylo ?
- Dois-je faire le deuil de mon stylo ?
- Dans quel état se trouvait réellement mon stylo ?
- Étais-je convaincu du bon état de mon stylo ? Pourquoi ?
- Était-ce vraiment mon stylo ?
- Ai-je le droit à un nouveau stylo ?
- Comment me procurer un nouveau stylo ?

et enfin…

- Serait-il envisageable de prendre un crayon ?



DÉDICACE :

À mon ami Pierrot DELALUNE
Qui m’a prêté sa plume
Pour écrire un mot…

ainsi qu’à :

Emmanuel CARAN D’ACHE
Qui m’a prêté ses crayons de couleurs
Pour illustrer des « Histoires sans paroles ».



Tout a commencé un beau matin de novembre où l’arrière-grand-tante du cousin de mon beau-frère a été kidnappée par un jeune phrénologue abyssinien non diplômé…

Ou plus simplement, pour être moins précis, tout a commencé le jour où on a volé mon stylo…

QUI A VOLÉ MON STYLO ?

Comme je l’affirmais justement en préambule, toute l’affaire commença le jour où quelqu’un vola mon stylo.

Lorsque je m’aperçus avec horreur que mon stylo avait visiblement disparu, la première question qui me vint à l’esprit fut : mais qui donc a volé mon stylo ?

Je devais me rendre à l’évidence, quelqu’un avait bel et bien volé mon stylo.

Il s’agissait donc impérativement de mettre la main au collet de l’indélicat personnage afin de lui dire ma façon de voir les choses.

Plusieurs pensées lancinantes se bousculaient dans mon cerveau agacé, lequel désirait, tout comme moi, récupérer à tout prix mon stylo.

Forcément, il devait s’agir de quelqu’un de mal intentionné, de malhonnête et de gonflé.

Se permettre de voler mon stylo !

Il faut le faire.

Afin de lever le voile sur l’identité de ce voleur scandaleux, je me mis à réunir quelques précieux éléments qui me mèneraient à lui.


Mais avant d’aller plus loin, mon sens affûté de la déduction me poussa à regarder autour de moi.

Car c’est bien connu, le plus souvent, ce genre de personne, il n’y a pas besoin de le chercher bien loin, il fait forcément partie de l’entourage direct.

Et comme je me trouve à un endroit très exposé à ce genre de désagrément, c’est-à-dire mon lieu de travail, c’est sûr qu’il faut commencer par là.

Et puis, il semble très improbable qu’une personne éloignée, habitant Tombouctou ou Vladivostok ait l’opportunité matérielle de commettre ce forfait !

Fort de cette certitude, je me mis à scruter minutieusement l’horizon.

L’œil suspicieux, je balayai systématiquement le paysage de mon voisinage.

Je n’eus pas besoin d’attendre longtemps avant de trouver mon premier suspect.

Plus précisément, disons ma première suspecte.

Cette collègue de bureau, Esther AURIST pour ne pas la nommer, avait tout à fait le profil.

D’abord, quand on a un nom pareil, c’est déjà suspect.

Et si j’en juge à la réputation qu’elle a auprès des autres collègues, il s’agit d’une Madame Sans-Gêne qui ne s’encombre pas facilement d’une conscience professionnelle.

Alors…


Oui, et alors ?

Alors c’est elle, c’est sûr.

Je me dirige vers elle avec assurance et, tout en la fixant avec un air plein de reproches, je lui demande poliment : Hep, vous, là, rendez-moi mon stylo… s’il vous plaît !

Vous remarquerez mon extrême courtoisie, car dans un cas pareil, je n’étais même pas obligé d’utiliser une formule de politesse.

J’en connais même qui, sans un mot, auraient simplement repris le stylo et seraient retournés derechef à leur place.

Pendant que la mère AURIST me regardait avec de grands yeux de merlan frit, j’entrepris d’inspecter son bureau afin de mettre la main sur ma propriété.

Comme je me demandai où Madame avait bien pu cacher l’objet de son larcin, celle-ci, sur la défensive, aggrava son cas par un mensonge banal du genre : « Excusez-moi, Monsieur, mais je n’ai pas volé votre stylo ! »

Quelle impertinence, vous êtes d’accord avec moi, non ?

Évidemment, tout ceci me fit perdre un temps fou et je n’avais toujours pas récupéré mon stylo.

Je savais bien que c’était elle, mais comme je n’avais pas de preuves, je pris mon mal en patience et retournai dans mon bureau.


Un peu plus tard, un léger doute envahit mon esprit. Et si c’était plutôt Mac IGNON ?

Les écossais, c’est bien connu, sont des vieilles râpes.

Plein de fric, mais ça met des vieux pantalons style Crie-Misère, faux mendiant, mais vrais grippe-sous.

Alors, vous pensez s’il va ouvrir un crédit pour un stylo !

Déjà trop cher, un stylo.

C’est plus pratique de le piquer aux collègues !

Réflexion faite, je suis entouré de malfaiteurs.


Prenez la grande Odette.

Elle, c’est le contraire de Mac IGNON : toujours sapée à quatre épingles, fière de son nom à particule : Madame de MILLEFRENT.

Malgré ceci, à force de vivre au-dessus de ses moyens, elle pourrait très bien s’abaisser à voler des stylos.

Je le sais, parce que l’adjoint du directeur administratif, François DISAN m’avait confié un secret : la miss de MILLEFRENT a bouffé toute sa fortune !

En plus, elle est dans le rouge à la banque.

Donc, suivez mon regard, un de ces quatre, je vais retrouver mon stylo dans ses affaires, c’est sûr !


Pour l’instant, je ne l’ai toujours pas récupéré, mon stylo.

Après une assez longue réflexion, je suis à même d’ajouter un nouveau coupable potentiel sur ma liste : Raymond, le chef de production.

Il court dans tous les sens, ce type-là.

À peine il vient me faire signer un truc et il est déjà loin, bien sûr avec le stylo des autres.

À nous deux, Monsieur ZEPARVO. Vous avez beau être le chef, mais vous ne montrez pas l’exemple en faisant peu cas des petites fournitures de vos employés.

Si ça se trouve, ce n’est pas le premier stylo qu’il me prend et je ne m’en suis même pas aperçu.


Ah, là là, il y a de quoi, je vous jure.

Je me sens subitement un peu las.

Oui, je suis las de ces ridicules mesquineries.

Il y a quand même des choses plus importantes que de s’amuser à subtiliser les stylos des autres.


Bon. Et maintenant, zen zen, je respire un bon coup.


Il faut que je garde mon sang froid légendaire et que je me rende à l’évidence :

ce n’est pas aujourd’hui que je saurai qui a volé mon stylo…



Source :

Pascal Henchoz
ON A VOLÉ MON STYLO !
ou
comment confronter
son humeur à son humour
avec joie et succès


Éditions HHH
Histoires d’Humeur et d’Humour


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