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L'esprit
de Paris
PLUIE
Même lorsqu’il pleut comme maintenant et que tout porte à la tristesse, la nature vient tout égayer.
Les surfaces de bois assez ternes, lorsque sèches, deviennent luisantes et reflètent la lumière du jour. Les gouttes de pluie saccadent ce reflet par de multiples éclats improvisés. Chanceux que je suis d’être entouré d’arbres et de plantes, comme un décor de scène dont la pluie modifie l’apparence, si déférente sous le soleil. Pourtant j’écrivais face à ce décor hier et j’ai presque l’impression d’être ailleurs. L’écorce des gros arbres est plus remarquable, car les sections mouillées sont presque noires pendant que le reste offre toutes les teintes de gris. Une mésange en profite pour s’installer. Comme la cigale, elle a bien chanté tout l’été. Elle est passée nous voir souvent, comme elle a sans doute visité nos voisins. Nous sommes honorés de constater qu’elle adopte la cabane d’oiseau installée près du patio. Elle ne semble pas s’offusquer de nous voir ainsi l’observer. Peut-être y passera-t-elle l’hiver, à l’abri de la neige et du vent. Un lièvre aussi nous visite tous les jours depuis que nous n’avons plus de chat. On dirait qu’il adore les feuilles de certains de nos arbustes, car il en déguste comme si c’était de la laitue. Les arbustes ne semblent pas en souffrir alors nous aimons le revoir. Plusieurs petits animaux sauvages en profitent pour aller boire dans les trous remplis d’eau de pluie. Une mouffette qu’on n’avait jamais vue en plein jour a lentement traversé notre terrain. Elle avait une démarche très digne dans son manteau luisant tel un toxedo en deux hémisphères séparés par une large bande blanche immaculée. Les branches basses des arbustes sont dissimulées derrière les feuilles alourdies par la pluie. Des écureuils en profitent pour s’y cacher et nous surprennent en surgissant comme des coucous parmi les feuilles. La pluie vient de cesser, mais de gros nuages en promettent encore. Tout est savamment orchestré pour donner une nouvelle chance aux surfaces mouillées d’encore nous éblouir. NATURE RANIMÉE
Une volée de bernaches passe sur un fond de nuages qui fuient en direction opposée.
Au moins une feuille tombe à chaque seconde suivant une trajectoire imposée par le vent. À vingt mètres de hauteur, des bourrasques bousculent en tous sens la cime des arbres. Pendant ce temps, des arbustes sont au calme plat à l’abri du patio et près du sol. Les écureuils semblent imperturbables. Ils continuent de déambuler avec une noix comme pour l’exhiber fièrement. Tour à tour, ils viennent nous dévisager en agitant leur queue touffue pour attirer notre attention. La pluie abondante de la nuit dernière a tout détrempé. 
Une petite averse vient redonner du luisant aux feuilles qui persistent dans leur attachement aux arbres.
Les petits oiseaux sont absents ce matin d’automne. En voyant venir des nuages gris foncé et menaçants, ils sont sans doute recroquevillés à l’abri dans les cèdres et les sapins. Le frêne de quinze mètres de hauteur dans le coin de la cour a une drôle d’allure. On voit surtout son tronc et ses branches noircies et luisantes de pluie. L’extrémité de la plupart de ses branches est maintenant dégarnie de feuilles, mais reste munie de pompons bruns. Des touffes de samares brunes restent accrochées et sont comme agitées par des meneuses de claque. On a tondu la pelouse hier. Ce faisant, le gazon s’est débarrassé des feuilles mortes et a revêtu son tapis vert. Sur ce fond, comme sur la toile vierge d’un artiste peintre, une nouvelle œuvre d’art est en création sous nos yeux. Les feuilles mortes viennent s’y déposer après nous avoir charmés par leur vol plané. Ce nouveau relief improvisé s’agrémente de taches de couleur jaune, brune, rouge, bourgogne, orangé et d’une multitude de demi-tons, souvent sur une même feuille. Toutes placée dans une position différente, je doute que quelqu’un puisse imiter une si belle harmonie. Dommage que nous devions les ramasser. Mais en faire d’immenses tas dans lesquels on peut se laisser tomber amène d’autres plaisirs en famille. Bientôt, on souhaitera voir la neige venir créer un autre décor féérique sur cette nature moins morte qu’à première vue. |
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Source :
Alain Brunet
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