L'esprit de Paris  

CADEAU
le chien


Elle était si belle avec ses yeux bleu d’azur et sa longue chevelure...

Il semblait à la petite fille qu’elle lui disait :

« Emmène-moi. Je veux que ce soit toi ma maman ! »

Et la gamine se voyait déjà la bercer en chantonnant, la coiffer, l’habiller, lui dire des mots doux.



Des mois durant, penser à cette poupée l’avait aidée à supporter les brimades des jeunes garçons, les réprimandes de la maîtresse d’école et les jours de pluie.

Les vacances de Noël avaient commencé.

Elle était triste de ne plus voir son bébé chaque jour.

Il allait s’ennuyer dans sa vitrine sans le bonjour quotidien de sa maman.

Quand, le matin de Noël, elle découvrit sous le sapin, la boîte où dormait la poupée tant désirée, elle ne se contint plus de joie.

Elle riait, dansait en remerciant le Père Noël qui les avait enfin réunies...



La porte à peine refermée sur ses amies, elle poussa un profond soupir.

Son petit appartement se trouvait dans un désordre indescriptible.

À croire qu’elles s’étaient ingéniées à tout bouleverser pour la laisser très occupée après leur départ.

Peut-être craignaient-elles que la pression retombée et une fois seule, elle ne sombrât dans un état proche de la déprime.

Ce n’est pas tous les jours qu’on fête à la fois son anniversaire et le début de la retraite.

C’est entre filles qu’elle avait voulu marquer l’événement et, somme toute, elles avaient toutes les quatre passé un bon moment.

Pour quelques heures, chacune d’entre elles avait tenté de faire l’impasse sur ses soucis quotidiens et, a priori, y avait réussi.

Un punch et plusieurs verres de champagne n’y étaient pas étrangers.



À présent, la fête était terminée.

Le rideau était tombé.

Finie la gaîté factice.

Place à la réalité.

Après avoir rangé sommairement le capharnaüm, elle s’affala dans un fauteuil.

La vérité lui apparut dans toute sa cruauté.

Dorénavant, elle ne serait plus un chaînon indispensable dans la société dans laquelle elle travaillait.

Mais, indispensable l’était-elle réellement puisque le directeur lui avait déjà trouvé une remplaçante ?

Plus jeune, plus jolie, plus malléable et certainement moins bien payée.

De toutes ces années pendant lesquelles elle n’avait pas ménagé ses efforts, n’avait pas lésiné sur ses heures, consacrant des week-ends entiers à son travail, que restait-il ?

Un beau discours au cours d’un pot de départ ?

La satisfaction d’avoir toujours œuvré pour le développement de la société qui la rémunérait ?

Soit.

Mais, aujourd’hui tout ce pan de sa vie s’écroulait.

Retraitée, c’est à dire mise au rebut comme une vieille chaussette usée.



Brusquement, elle se redressa, se servit un verre de champagne en se disant :

« Tu l’as cette retraite que t’attendais avec tant d’impatience.

Alors, de quoi te plains-tu ?

Ce ne sera plus la perpétuelle course contre la montre.

Tu pourras enfin avoir du temps pour toi.

Veiller tard si tu en as envie et faire la grasse matinée en envoyant valser le réveil.

Fais une orgie de séances de cinéma, de concerts, de visites de musées ou… ne fais rien.

Tu es à la retraite, tu es libre de passer ton temps comme tu en as envie.

Et si une coupe de champagne te tente, vas-y.

Si tu n’as pas les yeux en face des trous le lendemain matin, ce n’est pas grave.

Il n’y aura personne pour les voir. »



Le lendemain matin, réveillée aux aurores, elle eut l’agréable surprise de pouvoir prendre son petit déjeuner autrement que sur le pouce.

Un soleil encore pâle filtrait timidement ses rayons à travers le feuillage du platane qui agrémentait la vue depuis ses fenêtres.

Elle s’en sentit toute ragaillardie.

Sa poubelle débordait de bouteilles vides, d’emballages de toutes sortes, résultat de la fête de la veille.

Elle décida de descendre la porter dans le container collectif.

Sur le trottoir, les gens passaient en se hâtant, le regard déjà absorbé par tout ce qu’ils avaient à faire — et peut-être à supporter — dans la journée.

Les voitures et les motos défilaient dans la rue en un flot ininterrompu de vrombissements de moteurs et de crissements de pneus.

Embouteillages, hypothétique place pour se garer, contraventions, voilà des contraintes qu’elle n’aurait plus à supporter.

Elle soupira d’aise.

Tout compte fait, la retraite avait de bons côtés.



Soudain, elle entendit un bruit très faible.

Qu’était-ce ?

On aurait dit un gémissement.

Elle regarda autour d’elle.

Rien.

C’est alors que, sous les bosquets qui bordaient l’immeuble, elle aperçut une forme allongée, blanchâtre.

Un sac plastique ?

Un chiffon peut-être ?

Elle se pencha et vit alors un petit chien.



Depuis combien de temps traînait-il ainsi dans les rues et quelles brutalités avait-il subies pour trembler de la sorte ?

Elle tendit lentement la main vers lui en parlant à voix basse.

Peu à peu, il sembla se détendre.

Alors, tout doucement, elle tenta de l’extraire de l’enchevêtrement des branchages.

Ses poils étaient longs, tout emmêlés, sales et servaient sans doute de refuge à toute une colonie de puces.

Quand elle le prit dans les bras, il se laissa faire sans broncher.

Ses yeux tristes exprimaient un défaitisme pitoyable.

Comme il était léger !

Elle sentait ses os saillir sous la peau.

Depuis combien de jours n’avait-il rien mangé ? Ou si peu.



Elle ne pouvait pas laisser ce pauvre animal à son sort.

Peut-être s’était-il perdu à moins qu’il n’ait été lâchement abandonné par ses maîtres.

Il devait errer depuis longtemps vu son état.

Elle ne tergiversa pas longtemps.

Sa décision était prise.

Elle allait le nourrir, le laver et, ensuite seulement, elle l’emmènerait chez un vétérinaire pour voir s’il appartenait à quelqu’un.



Il mourait de faim et engloutit plus qu’il ne dégusta le repas préparé rapidement avec des restes de légumes et de viande.

Il se laissa faire sans broncher quand, dans la baignoire, elle tenta de lui redonner une apparence canine convenable.

Dès qu’elle l’eut reposé à terre, tout frétillant, il s’ébroua joyeusement en faisant voler des éclaboussures au sol et sur les murs.

Pas grave, elle nettoierait.

Le plaisir que semblait éprouver ce petit animal la comblait de joie.

Quand il fut séché, elle lui prépara une couverture où il s’allongea.

Il ne cessait de la regarder avec des yeux empreints d’une telle reconnaissance, de tant de chaleur qu’ils auraient fait fondre un glaçon.

Elle le caressa doucement et il finit par s’endormir.



Elle se trouvait mille prétextes pour repousser au lendemain la visite chez un vétérinaire.

Mais elle sentait que le plus tôt serait le mieux.

Elle avait déjà commencé à s’attacher à cette petite bête et savait que la séparation risquerait de devenir de plus en plus douloureuse.

Les coups de foudre, ça ne s’explique pas...

Le soir, il se réveilla en l’entendant s’activer à la cuisine, se leva et se dirigea vers la porte.

Être enfermé lui pesait-il déjà ?

Préférait-il la liberté au gîte et au couvert ?

Tant pis, elle respecterait sa volonté.

Quoi qu’il lui en coûtât.



Elle descendit pour ouvrir la porte de l’immeuble et le suivit des yeux avec un pincement au cœur quand elle le vit s’éloigner entre les buissons…

Un peu déçue, elle allait refermer la porte derrière elle quand une boule de poils se précipita dans ses jambes.

« Attends-moi ! J’arrive ! » semblait-elle dire en sautant gaiement contre elle.

A présent qu’il avait satisfait une envie pressante, le chien voulait rentrer CHEZ LUI.



Jamais l’escalier ne lui avait paru si agréable à gravir,

Le chien montait deux ou trois marches, redescendait pour venir quémander une caresse et remontait de plus belle.

Où allait-il chercher toute cette énergie, lui si maigre ?

Il arriva au seuil de l’appartement avant elle et s’assit sur le paillasson pour l’attendre.

Apparemment, il avait déjà pris possession des lieux.



Qu’allait-elle lui donner en guise de repas car, pas question de le laisser jeûner le soir.

Il avait besoin de se remplumer un peu, de reprendre des forces.

Et, à un chien, il lui fallait autre chose qu’un potage vite fait et une tranche de jambon !


Ce soir, elle n’était plus seule et partit, toute guillerette, s’activer à la cuisine.

Du riz et une grosse boîte de thon dénichée dans un placard,

ça ferait un repas pour deux
en tête à tête…



Source :

Geneviève
Bobior-Wonner
QUAND
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