L'esprit de Paris  

CADEAU
le roméo


Une vraie métamorphose !

Cadeau était adorable.

À présent, débarrassé des poils superflus, son pelage brillant était une harmonie de blanc, d’ambre, de noir et de marron glacé.

C’était une petite bâtarde, sans doute le fruit d’une chienne épagneul avec un Clochard de rencontre.

Ce vice caché avait dû être la cause de son abandon par une famille qui exigeait un chien de pure race.

Sa nouvelle maîtresse ne l’en aimerait que davantage.

Et elle, par la même occasion, éviterait de passer des journées entières vautrée sur le divan à lire ou regarder la télé.



Pas question de se laisser aller en évitant de sortir quand le ciel serait gris, qu’il pleuvrait ou neigerait.

Un chien a besoin de se dépenser, de humer des odeurs, de voir des congénères.

En plus, passage obligé dans une animalerie.

Elle, qui jusque-là n’avait jamais aimé flâner dans des boutiques, prit tout son temps pour choisir collier, laisse et croquettes… et même un jouet.

Sa nouvelle vie commençait par ces petits plaisirs anodins.

Elle troqua ses éternels escarpins contre des chaussures plus adéquates pour la marche.

Et à partir de ce jour-là, on put la voir, sous le soleil et sous la pluie, emmener Cadeau pour une longue promenade dans un parc en bordure de la ville.

La petite chienne, en laisse, trottinait allègrement à ses côtés puis, une fois libérée, courait comme une petite folle, heureuse de vivre.



Elle aussi, réapprenait à vivre.

Elle écoutait le chant des oiseaux en cherchant à apercevoir les boules de plumes qui se cachaient dans les frondaisons.

S’émerveillait des nuances chatoyantes que les feuilles revêtaient au cours des saisons, de la complexité et de l’harmonie des fleurs sauvages ou des herbes folles.

Dans son quotidien, sauf pendant les vacances, elle n’avait jamais eu l’occasion d’admirer la nature.

Les arbres n’étaient que des troncs qui défilaient le long des rues quand elle passait rapidement en voiture et les fleurs se limitaient aux géraniums dont elle agrémentait ses rebords de fenêtres en été.



Elle apprit aussi à regarder les gens autrement que comme des passants qui se bousculaient dans les rues, perdus en eux-mêmes, repliés sur des soucis qui leur étaient propres.

Le vieux monsieur assis sur un banc, immobile, semblant attendre que le temps passe et que la mort vienne le délivrer, elle lui souriait.

À la dame âgée qui tenait fermement son toutou sur les genoux de peur qu’il ne s’échappe, elle demandait le nom du chien, son âge ou encore sa race.

Aussitôt, le regard de cette personne s’animait.

Elle n’était plus seule.

Quelqu’un s’intéressait à elle.



Peu à peu, au cours de ces promenades, elle fit ainsi la connaissance de gens qu’elle n’aurait jamais eu l’occasion de rencontrer sans la présence de Cadeau.

Et elle réalisa que, dans le monde dans lequel elle avait évolué au cours de sa vie active, elle était passée à côté de bien des choses.

Toutes ces rencontres, c’étaient des personnalités et des vécus très divers.

Elle en sortait enrichie par toutes ces existences qu’elle découvrait à présent.

Pendant ce temps, Cadeau menait sa propre vie de chien.

Elle aussi avait fait bon nombre de connaissances et, comme elle était très sociable, c’étaient des courses effrénées à n’en plus finir avec ses nouveaux copains.

Quand l’heure de partir arrivait, elle revenait au moindre appel de sa maîtresse.

Un amour de chien !



Le soir, toutes deux se retrouvaient sur le divan du salon.

Car, très vite, la chienne avait eu l’autorisation d’y monter.

Si c’était une mauvaise habitude, personne ne trouverait à y redire.

Allongée de tout son long, la tête sur les genoux de sa maîtresse, parfois Cadeau léchait la main qui tenait un livre ou s’égarait dans son pelage.

Sans broncher, comme si elle était d’accord et comprenait toutes les subtilités du langage humain, elle écoutait les remarques sarcastiques faites à haute voix au cours de débats politiques.

Elle n’était pas contrariante.

Qu’elles étaient bien ensemble toutes les deux !

Elles n’avaient besoin de personne d’autre pour être pleinement heureuses.

Jusqu’à ce que…



Depuis quelques jours, Cadeau était très excitée.

Elle se léchait constamment l’arrière-train.

Elle semblait indifférente aux caresses.

Que se passait-il ?

Sa maîtresse était très inquiète et décida d’abandonner provisoirement la promenade traditionnelle pour une visite chez le véto.

« Mais, madame, c’est la nature ! Votre petite chienne a ce qu’on appelle ses chaleurs.

A priori, elle a un peu plus d’un an et c’est donc normal.

Mais, si vous ne voulez pas de chiots, il va falloir vous méfier des mâles.

— C’est gênant pour les promenades.

— Dans l’immédiat, je peux vous prescrire une pilule contraceptive, mais il serait préférable que, par la suite, vous la fassiez opérer. »



Ainsi ce n’était que cela ?

Cadeau n’était pas malade et pourrait continuer à batifoler avec ses copines et même ses copains.

Et sa maîtresse n’aurait pas à abandonner des promenades qui lui faisaient tant de bien à elle aussi.

Un jour, pourtant, la petite chienne resta sourde aux appels de sa maîtresse.

Ce n’était pas normal.

Que lui était-il arrivé ?



Elle avait beau lancer « Cadeau ! Cadeau ! » dans toutes les directions, celle-ci restait introuvable.

L’angoisse montait crescendo.

Des récits concernant des chiens enlevés pour des tests en laboratoire lui revinrent en mémoire.

Elle sentait les larmes monter et lui picoter les paupières.

Ce n’était pas possible !

Si sa petite compagne de tous les jours avait disparu, elle se sentirait comme abandonnée.

Plus seule que jamais.



Mais, soudain, elle n’en crut pas ses yeux.

Elle croyait rêver…

Cadeau s’avançait lentement vers elle, d’un pas mesuré, presque solennel.

Où était sa fougue habituelle ?

Elle n’était pas seule.

Trottinant à côté d’elle, un pseudo labrador s’approcha aussi.

Timidement d’abord.

Puis, voyant que la maîtresse de Cadeau ne le chassait pas, il s’enhardit et se posta à côté d’elle.



La petite chienne était venue présenter son roméo.

Le rire succéda aux larmes.

Qu’ils étaient attendrissants tous les deux !

Elle était en train de les caresser tous les deux quand un appel retentit au loin.

« Poly ! Poly, reviens ! »

Le roméo devait sans doute être ce fameux Poly qu’une voix masculine s’égosillait à appeler.

Lui, apparemment, n’avait pas envie d’obtempérer.

Il voulait être avec sa juliette.



Il ne restait qu’une chose à faire : essayer de trouver le maître.

Enfin, tous trois l’aperçurent.

« Ah, te voilà vilain garnement !

Où étais-tu passé ? Je commençais à m’inquiéter sérieusement. »

Les caresses qu’il prodigua à son chien montraient clairement que, pour lui aussi, cet animal était plus qu’une bête.

C’était un véritable compagnon.

Quand il eut pensé que son maître lui avait pardonné sa désobéissance, Poly retourna faire des cabrioles avec Cadeau, laissant les deux humains face à face.



Ensemble, ceux-ci éclatèrent de rire devant la bizarrerie de la situation.

Ils se présentèrent et bavardèrent.

Tous deux étaient à la retraite de fraîche date et leur chien était leur seule compagnie.

Lui était veuf et elle divorcée.

Ils bavardèrent longtemps, longtemps, sans voir filer les heures.

De leurs chiens surtout.



Les jours suivants, tout naturellement le quatuor se retrouva.

Les chiens d’un côté, les maîtres de l’autre.

Les humains n’arrêtaient pas de se parler et se découvraient mille et une affinités.

Cadeau et Poly, eux, n’avaient pas besoin de se parler.

Ils se comprenaient déjà très bien.


Et ce, jusqu’au jour, où ils décidèrent de rentrer tous les quatre sous le même toit.

Le hasard leur avait joué un bien bon tour.



Source :

Geneviève Bobior-Wonner
QUAND LE HASARD
S'EN MÊLE

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